Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mistress Bute était toujours à côté d’elle. Quand miss Crawley allait prendre l’air dans son fauteuil roulant, mistress Bute marchait à sa droite, tandis que l’honnête Briggs soutenait l’aile gauche. Rencontrait-on par hasard Rawdon et sa femme, en dépit des coups de chapeau respectueux et persévérants du capitaine, l’escorte de miss Crawley passait près de lui avec une indifférence si glaciale et si dédaigneuse, qu’il ne restait plus à Rawdon qu’à s’arracher les cheveux ou à se casser la tête contre les murs.

« Pour ce que nous faisons ici, répétait souvent le capitaine Rawdon, d’un air mortifié, nous serions aussi bien à Londres.

— Un bon hôtel à Brighton vaut toujours mieux que la prison de dette à Chancery-Lane, répondait sa femme toujours en belle humeur. Pensez-donc aux deux aides-de-camp de M. Moses, l’officier du shériff qui, toute une semaine, nous ont fait l’honneur de monter la garde à notre porte. La société dans laquelle nous vivons ici est insipide, j’en conviens. Mais Rawdon, mon cher, M. Joe et le capitaine Cupidon sont encore préférables aux acolytes de M. Moses.

— Si quelque chose m’étonne, continua Rawdon en proie à un sombre désespoir, c’est qu’ils ne m’aient pas relancé jusqu’ici avec leurs mandats.

— Eh bien après, n’aurions-nous pas encore trouvé la manière de leur glisser dans la main, dit l’intrépide Becky, en insistant sur les avantages et les profits qu’ils avaient retirés de leur rencontre avec Joe et Osborne, ce renouvellement d’amitié n’était-il pas venu fort à propos leur procurer un peu d’argent comptant ?

— Ce sera tout juste de quoi payer la note de l’hôtelier, grommela le Horse-Guard.

— À quoi bon le payer ? » répondit son interlocutrice, qui ne restait jamais court.

Le valet de Rawdon, à l’instigation des maîtres, était resté en échange de bons procédés avec le personnel mâle au service de miss Crawley. Il avait ordre de payer à boire au cocher toutes les fois qu’il le rencontrait, et c’est par là que le jeune couple était mis au courant des faits et gestes de la chère tante. Rebecca, de plus, avait eu l’heureuse idée de se sentir indisposée afin d’appeler auprès d’elle le même apothicaire qui