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LA FOIRE AUX VANITÉS

moins naturelle, repartit Rebecca, et je ne suis pas un ange. »

Elle ne mentait pas.

On a pu, en effet, remarquer que, dans cette conversation, miss Sharp a eu deux fois l’occasion de remercier le ciel ; la première pour l’avoir délivrée de personnes qu’elle détestait, et, en second lieu, pour lui avoir fourni l’occasion de mettre ses ennemis dans l’embarras et de les couvrir de confusion. Ce ne sont pas là des motifs bien légitimes de reconnaissance envers le ciel, ni de ceux qui peuvent venir à l’esprit de personnes d’un caractère doux et bienveillant.

Miss Rebecca n’avait rien de doux ni de bienveillant dans le caractère. Tout le monde en usait mal avec elle, disait cette jeune misanthrope (il vaut mieux dire misogyne, car, pour le sexe masculin, on peut déclarer qu’elle en avait encore fort peu l’expérience) ; tout le monde en usait mal à son égard, disait-elle ; cependant nous sommes disposés à croire que ces personnes de l’un ou de l’autre sexe qui sont les victimes de tout le monde n’ont en général que ce qu’elles méritent. Le monde est un miroir qui renvoie à chacun ses propres traits ; si vous froncez le sourcil en le regardant, il vous jette un coup d’œil renfrogné. Riez, au contraire, avec lui, et il se montrera bon compagnon. Avis à vous, jeunes gens, pour régler votre choix. Si on négligeait miss Sharp, c’est qu’elle était connue pour n’avoir jamais rendu service à personne ; on ne peut pas trouver vingt-quatre jeunes demoiselles toutes aussi aimables que l’héroïne de ce roman, miss Sedley, choisie précisément par nous comme la mieux douée de toutes ; autrement rien au monde ne nous eût empêché de mettre à sa place miss Swartz ou miss Crump, ou miss Hopkins ; on aurait eu tort d’espérer rencontrer chez tout le monde le caractère doux et aimable de miss Amélia Sedley, et cette bonne volonté à vaincre en toute circonstance les brusqueries et les rebuts de Rebecca.

Le père de miss Sharp était artiste, et, en cette qualité, avait donné des leçons de dessin dans la maison de miss Pinkerton. C’était un habile homme, bon vivant, bien réjoui, mais brouillé avec le travail. Ses plus grandes dispositions étaient à faire des dettes, et son faible le menait toujours à la taverne. Quand il avait bu, il était dans l’usage de battre sa femme et sa fille ; et le lendemain matin, fatigué d’un grand mal de tête,