Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réchauffer dans son sein, et elles ne piquent ensuite que plus fort. Ce sont des meurt-de-faim que vous mettez en voiture et qui sont les premiers à vous écraser. Vous savez de qui je parle, William Dobbin, mon garçon. Je parle de ce sac à écus de Russell-Square, si fier de sa dorure, lui que j’ai connu sans un schelling. Je ne désire plus qu’une chose, c’est de le revoir dans l’état de misère où il était quand nous nous sommes liés ensemble.

— Mon ami George, monsieur, m’en a touché quelques mots, dit Dobbin, préoccupé d’en venir à ses fins. Ce débat l’a fort chagriné, monsieur, et je viens vous apporter un message de sa part.

— Et voilà le but de votre visite, sans doute ? s’écria le vieillard bondissant sur son siége. Heuh ! il m’envoie ses compliments de condoléance, n’est-ce pas ? Il est vraiment trop bon ce beau monsieur ; qui veut répandre une odeur aristocratique et se roidit comme s’il avait un bâton dans le dos. Qu’il vienne un peu rôder autour de ma maison ? si mon fils avait le courage d’un homme, il lui aurait déjà logé une balle dans la tête. C’est un coquin tout comme son père. Je ne veux pas qu’on prononce son nom chez moi ; j’ai maudit le jour où je lui ai ouvert ma maison, et j’aimerais cent fois mieux voir ma fille morte que mariée à cet homme-là.

— Il ne faut pas imputer à George les mauvais procédés de son père. L’amour de votre fille pour son fils est autant votre ouvrage que le sien. Avez-vous donc pensé vous jouer avec les affections de deux jeunes gens pour les étouffer ensuite à votre gré ?

— Mettez-vous bien dans l’esprit, s’écria le vieux Sedley, que ce n’est point le père de George qui rompt ce mariage, c’est moi qui le défends. Il y a une barrière éternelle entre cette famille et la mienne. Je suis tombé bien bas, mais pas encore à ce degré de honte. Non ! non ! Vous pouvez le répéter à toute cette clique, père, fils, sœurs et tout le reste.

— Moi, je pense, monsieur, répondit Dobbin à voix basse, que vous n’avez ni le pouvoir ni le droit de séparer ces deux cœurs, et que, si vous ne donnez pas votre consentement à votre fille, elle fera bien de s’en passer. Parce que vous avez la tête à l’envers, ce n’est pas une raison pour qu’elle meure ou mène une vie malheureuse. À mon sens, elle se trouve