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— Peuh ! agents de change… banqueroutiers… C’est tout un, vous savez, reprit Rawdon en chassant avec son fouet une mouche posée sur l’oreille de son cheval.

— J’aurais aimé à racheter, pour le leur offrir, quelque peu d’argenterie, Rawdon, continua sa femme d’une voix sentimentale ; mais vingt-cinq guinées pour ce petit piano, c’est monstrueusement cher ; nous l’avions choisi avec Amélia au sortir de la pension, chez Broadwood, il en a coûté alors trente-cinq.

— Et votre… comment l’appelez-vous ?… Osborne, je crois… Il va tirer, je suppose, sa révérence à cette fille, maintenant que la famille est ruinée. Ça va chagriner votre petite amie, miss Becky ?

— Bah ! on se console, » dit Becky avec un sourire.

Puis, pendant le reste de la promenade, ils parlèrent de tout autre chose.



CHAPITRE XVIII.

Qui joua sur le piano acheté par le capitaine Dobbin.


Notre récit, pour un temps, se trouve mêlé à des événements et à des noms fameux, et marche presque sur les brisées de l’histoire. Lorsque les aigles de Napoléon Bonaparte prirent leur vol de la Provence, où elles s’étaient abattues après un court séjour dans l’île d’Elbe, et, de clochers en clochers, atteignirent les tours de Notre-Dame, les aigles impériales firent sans doute peu d’attention à un petit coin de la paroisse de Blooms’bury, à Londres, où l’on était aussi préoccupé de bien autre chose que du battement de ces ailes puissantes !

« Napoléon est débarqué à Cannes ! » Une pareille nouvelle pouvait répandre la panique à Vienne, renverser les plans de la Russie, menacer l’intégrité de la Prusse, faire secouer la tête à Metternich et à Talleyrand, et enfin abasourdir le prince Hardemberg et le marquis de Londonderry ; mais qui aurait jamais cru que la fatale secousse de la grande lutte impériale dût faire ressentir son contre-coup jusque sur les destinées