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une petite fille insignifiante ; que mistress White n’a pour elle que son petit minois chiffonné ; qu’il n’y a rien à dire en faveur de mistress Black ; je me rappelle cependant avoir eu les plus délicieuses conversations avec mistress Black, — et naturellement, chère madame, je dois être discret. Je vois les hommes faire cercle autour de la chaise de mistress White, et tous les jeunes gens se battre pour danser avec mistress Brown. Je suis donc tenté de croire que les dédains de son sexe sont souvent le plus bel éloge pour la femme qui en est l’objet.

Sous ce rapport, les jeunes demoiselles de la société d’Amélia ne laissaient rien à désirer.

Ainsi l’on ne voyait point de plus touchant accord que celui des demoiselles Osborne, sœurs de George, et des demoiselles Dobbin dans l’estimation des très-minces mérites de miss Sedley. Elles n’en revenaient pas de voir leurs frères lui trouver quelques charmes.

Les demoiselles Osborne, jeunes filles aux noirs et beaux sourcils, qui avaient eu les meilleures gouvernantes, les meilleurs maîtres et les meilleures couturières, la traitaient avec tant d’affection et de condescendance, la patronnaient avec tant de supériorité, que la pauvre enfant restait muette en leur présence et avait tous les dehors d’une personne pauvre d’esprit ; leur charité se chargeait du reste. Elle faisait de son côté de grands efforts pour les aimer ; n’étaient-elles pas les sœurs de son futur mari ? Elle passait de longues matinées avec elles et de plus terribles et plus sérieuses après-dînées. Elle les accompagnait en grande pompe dans la voiture de famille, avec miss Wirt leur gouvernante, cette vestale aux larges omoplates.

Par manière de distraction, elles la menaient au concert, à l’Oratorio, à Saint-Paul, aux Enfants-Trouvés ; et la terreur qu’elle avait de ses amies était si grande qu’à la douce voix de ces enfants elle n’osait pas se laisser aller à son émotion. Dans cette maison respirait le bien-être. La table de leur père était somptueuse et bien servie. Leur société avait des prétentions à l’élégance et à la cérémonie. Leur amour-propre était excessif ; elles avaient le plus beau banc aux Enfants-Trouvés. Dans toutes leurs habitudes, il y avait étalage de pompe et d’étiquette ; elles prenaient tous leurs amusements avec un air d’imperturbable convenance.