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ley à bord de son navire, on aurait pu supposer que ce n’était point la première fois qu’il se trouvait en face de l’aventurier corse et que, pour le moins, ce belliqueux enfant d’Albion avait pris par la barbe le général français à l’affaire du Mont-Saint-Jean. Il savait mille anecdotes sur ce fameux engagement, indiquait la position stratégique des divers régiments, et détaillait les pertes subies par chacun d’eux. À l’entendre, on aurait pu croire qu’il avait contribué pour sa large part à cette mémorable victoire, qu’il avait accompagné l’armée dans ses évolutions périlleuses, et, au fort de la mêlée, porté les dépêches du duc de Wellington. Il savait mot pour mot, et minute par minute, tout ce que le duc avait fait ou dit dans le cours de la glorieuse journée de Waterloo, et paraissait tellement au courant des faits et gestes de Sa Grâce qu’il était impossible de douter un seul instant qu’il n’eût passé toute sa journée à côté du vainqueur. Si son nom ne se trouvait point dans les listes que donnèrent les journaux à l’occasion de cette bataille, c’est qu’il ne figurait point sur les cadres de l’armée. Peut-être avait-il fini par se persuader, mieux encore qu’à ses auditeurs, que les lignes anglaises lui devaient la plus grande part de leur succès. Il n’en est pas moins certain qu’il fit aussi très-grande sensation à Calcutta, et que, pendant tout le reste de son séjour au Bengale, il ne fut plus désigné que sous l’appellation honorifique de Waterloo-Sedley.

Les billets qu’il avait souscrits pour solde des deux chevaux furent payés sans la moindre difficulté de sa part et de celle de ses agents. On ne l’entendit jamais rien dire sur ce marché, et quant au sort de ces malheureux quadrupèdes, on n’a aucune donnée bien positive sur la manière dont il s’en débarrassa, ainsi que d’Isidore, le domestique belge qu’on avait vu vendre un cheval gris fort semblable à celui que Jos montait quelquefois à Valenciennes pendant l’automne de 1815.

Les agents de Jos avaient ordre de payer chaque année à ses parents une pension de cent vingt livres sterling. C’était là, pour ces deux vieillards, leur principal moyen d’existence, car les spéculations auxquelles se livrait M. Sedley depuis sa banqueroute n’étaient point de nature à rétablir la fortune délabrée du vieil agent de change. Il essaya tour à tour de se faire marchand de vins, de charbon et commissionnaire pour les loteries, etc., etc… À chaque nouveau commerce dont il tentait