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Puis on se remit à causer de la représentation de l’Opéra.

Rawdon s’était esquivé un moment pour connaître la cause du chagrin de son fils, et il rejoignit bientôt la compagnie lorsqu’il eut vu l’enfant entre les mains de l’honnête Dolly qui s’efforçait de le consoler.

Le cabinet de toilette du colonel était situé dans les hautes régions de la maison ; c’était là qu’avaient lieu les entrevues intimes du père et du fils ; c’était là qu’ils se voyaient tout à leur aise et sans témoins ; tandis que Rawdon père se faisait la barbe, Rawdon fils, assis sur une malle, suivait les détails de cette opération avec un plaisir toujours croissant. La plus parfaite intelligence régnait entre eux ; le père apportait au fils quelques friandises du dessert qu’il cachait dans un certain étui à épaulettes où l’enfant savait fort bien les retrouver, et c’étaient des bonds et des cris de joie à la découverte de chaque trésor nouveau ; mais le petit Rawdon était obligé de modérer ses transports, car sa mère dormait à l’étage inférieur et il ne fallait pas troubler son sommeil. Comme elle se mettait au lit fort tard, elle ne se levait, par suite, que dans l’après-midi.

Rawdon achetait pour son petit garçon des livres d’images et remplissait sa chambre de joujoux. Les murailles étaient couvertes de gravures collées par la main paternelle et payées par Rawdon argent comptant. Quand il n’était pas de service au parc pour escorter mistress Crawley, il prenait son garçon avec lui et faisait des promenades qui duraient des heures entières. Le colonel mettait l’enfant à cheval sur ses genoux, lui laissait tirer ses grandes moustaches en guise de rênes, et la journée s’écoulait ainsi au milieu de ces jeux et de ces gambades enfantines.

La chambre du jeune Rawdon était très-basse, et une fois, en prenant l’enfant pour le faire sauter en l’air, le père lui heurta la tête contre le plafond ; le petit Rawdon avait alors cinq ans. M. Crawley faillit presque laisser tomber son fils, tant il fut effrayé des suites que pouvait avoir sa maladresse, et l’enfant, faisant une grimace affreuse, se disposait à pousser les cris les plus épouvantables que la violence du coup aurait du reste suffisamment excusés, lorsque son père l’arrêta tout court en lui disant :

« Pour l’amour de Dieu, n’allez pas éveiller votre mère. »

L’enfant regarda aussitôt son père d’un air piteux et lamen-