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fort mal à l’aise, et elle s’arrangeait toujours, lorsque ces deux hommes venaient, pour avoir George auprès d’elle.

Rebecca, il faut lui rendre cette justice, évitait de laisser l’un de ces hommes en tête à tête avec Amélia. Le major, qui était libre de la personne, jurait qu’il aurait raison de cette petite mijaurée ; ces deux maîtres coquins se disputaient ainsi cette innocente créature, et jouaient, à sa propre table, à qui l’aurait. Sans se douter en aucune manière des vues criminelles de ces misérables, elle ne les voyait cependant qu’avec une impression de terreur et de gêne et aurait voulu fuir bien loin de là.

Elle suppliait, conjurait Jos de retourner en Angleterre, mais il faisait la sourde oreille et ne voulait pas s’éloigner de son docteur, c’était là un lien puissant pour lui et auquel du reste venaient s’en joindre d’autres. Tout au moins pouvons-nous dire que Becky n’était pas fort pressée de retourner en Angleterre.

Enfin Amélia prit un grand parti, une énergique résolution ; elle écrivit à un de ses amis qui se trouvait de l’autre côté du détroit, n’en parla à personne, et porta elle-même la lettre à la poste afin d’être encore plus sûre de son secret ; elle montra seulement une certaine émotion en revenant auprès de George, et elle passa une grande partie de la nuit à s’entretenir avec lui. Depuis son retour de la promenade, elle ne quitta plus sa chambre. Becky pensa que c’était le major et le capitaine qui lui faisaient peur.

« Elle ne peut rester plus longtemps ici, se disait Becky en elle-même. Il faut qu’elle parte, cette petite sotte. A-t-on jamais vu avoir un tel chagrin pour un mari mort depuis quinze ans, et Dieu sait comme il méritait de tels regrets. Quant à épouser l’un ou l’autre de ces deux misérables, c’est impossible ; que ferait-elle d’un Loder ou d’un Rook ? Elle se mariera avec sa grande perche, et je vais arranger tout cela ce soir même. »

Sous prétexte de lui porter une tasse de thé, Becky alla dans la chambre d’Amélia. Elle l’y trouva en compagnie de ses deux portraits et en proie à une surexcitation nerveuse des plus vives ; elle posa devant elle la tasse de thé.

« Merci ! lui dit Amélia.

— Écoutez-moi, Amélia, dit Becky se promenant en long et en large et l’examinant avec un air d’intérêt presque méprisant. J’ai à causer avec vous ; vous ne pouvez demeurer ici