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voisine ; on eût dit qu’elle voulait se mettre sous la protection du portrait de son mari.

Après le départ de Dobbin il resta quelques livres sur lesquels se trouvait son nom. Emmy les mit de côté sur son secrétaire, à côté de sa boîte à ouvrage, de son buvard, de sa Bible, de son livre de prières, au-dessous des portraits des deux George. En partant, le major avait oublié ses gants, et peu après Georgy, furetant dans les affaires de sa mère, les trouva soigneusement enveloppés dans un coin du tiroir à secret de son nécessaire.

Emmy n’aimait pas beaucoup le monde, et n’y trouvait que de l’ennui ; aussi, pendant les belles soirées d’été, son principal plaisir était d’aller faire de longues promenades avec Georgy, tandis que Rebecca restait à la maison pour ne pas laisser M. Jos tout seul. La mère et le fils causaient ensemble du major, et la manière dont en parlait Amélia faisait souvent sourire Georgy. Elle lui disait que le major avait un cœur d’or, que c’était l’homme le plus aimable, le plus brave et en même temps le plus modeste qu’elle connût. Elle lui répétait sans cesse que tout ce qu’ils avaient, ils le devaient aux bons soins de cet excellent ami ; que son amitié avait veillé sur eux dans le malheur et la pauvreté alors qu’ils étaient abandonnés de tous. Ses camarades étaient pleins d’admiration pour lui, bien qu’on ne l’entendit jamais parler de ses actions d’éclat ; il avait été l’ami intime du père de George, qui n’avait jamais varié dans son amitié pour le bon Dobbin.

« Votre père, lui disait-elle, m’a souvent raconté comment, étant enfant, William avait pris sa défense contre le petit tyran de la pension, et, depuis ce moment, il s’est formé entre eux une amitié qui n’a point varié jusqu’à la mort de votre père.

— Dobbin a tué sans doute l’homme qui a tué papa ? demanda Georgy, ou bien il l’aurait fait s’il avait pu l’attraper, n’est-ce pas, maman ? Quand je serai à l’armée, je tuerai tous les Français, soyez tranquille. »

Ces conversations entre la mère et le fils occupaient une grande partie du temps qu’ils passaient ensemble ; cette naïve femme avait fait de son fils le confident de ses secrets ; il est vrai que parmi ceux qui connaissaient William, il était celui qui aimait davantage le major.

Mistress Becky, elle aussi, avait sa miniature pour ne pas