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vent reçue à sa table pendant la tempête révolutionnaire, lui écrivait les lignes suivantes :

« Que notre chère miss vienne donc voir à Paris son neveu, sa nièce, tous ceux enfin qui lui conservent une large place dans leurs tendres souvenirs. On raffole ici de la charmante femme du colonel, de cette jolie espiègle qui nous rappelle la grâce et l’esprit de notre bien-aimée miss Crawley. Le roi l’a remarquée hier aux Tuileries, et Monsieur lui a accordé une attention qui a éveillé nos jalousies. Que n’étiez-vous là, chère demoiselle, pour voir le dépit d’une certaine milady Bareacres, qui promène dans toutes nos réunions son nez crochu et sa toque à panache, lorsque madame la duchesse d’Angoulême, l’auguste fille de nos rois et la compagne de leur exil, s’est fait présenter mistress Crawley, votre nièce et chère protégée, pour la remercier, au nom de la France, de l’intérêt et des sympathies que nos malheureux amis ont trouvés auprès de vous dans leur exil. Mistress Crawley est de toutes les fêtes et de tous les bals, bien qu’elle ne prenne pas une part active à nos danses. On ne saurait vous exprimer combien excite d’intérêt cette charmante créature, entourée des hommages les plus flatteurs et sur le point de devenir mère ! Rien qu’à l’entendre parler de vous, de sa seconde mère, comme elle vous appelle, le cœur le plus insensible et le plus dur verserait des larmes. C’est une affection bien profonde et bien vraie, et nous ne pouvons mieux faire que l’imiter dans sa tendresse pour l’aimable et vénérée miss Crawley ! »

Il était à craindre que cette lettre de la grande dame parisienne ne fît pas grand bien aux affaires de Becky auprès de son aimable et vénérée parente. Et en effet, la fureur de la vieille demoiselle ne connut plus de bornes quand elle apprit la situation de Rebecca et cet excès d’audace à se couvrir de son nom pour s’insinuer dans les salons à la mode. La confusion de ses pensées, son affaiblissement physique ne lui laissant plus un esprit assez présent pour pouvoir répondre à ses correspondants en français, elle dicta à Briggs dans son propre idiome une lettre furibonde où elle désavouait toutes les paroles de mistress Rawdon Crawley et la dénonçait au public comme la personne la plus dangereuse par ses artifices et ses intrigues.

Mais Mme la duchesse de *** ayant passé vingt ans en Angleterre, était bien excusable de ne pas comprendre l’an-