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dame placée à ses côtés, leva les yeux et aperçut Becky. Ses jambes tremblèrent sous elle à la rencontre de leurs yeux ; toutefois, elle eut assez d’empire sur elle-même pour adresser au noble lord un de ses plus gracieux sourires accompagné d’un petit salut bien timide et bien suppliant. Pendant une minute, lord Steyne la regarda d’un œil tout effaré, et il resta les yeux fixes et la bouche béante, comme Macbeth à la vue du spectre de Banquo, jusqu’au moment où l’affreux major Loder entraîna Becky d’un autre côté.

« Gagnons le souper, lui avait dit son cavalier ; à voir manger tous ces gros personnages, cela donne appétit. Dépêchons-nous d’aller dire un mot au champagne du gouverneur. »

Becky trouvait que le major lui en avait déjà dit beaucoup trop long.

Le lendemain, elle alla se promener au Corso, ce rendez-vous des oisifs de Rome, espérant y retrouver lord Steyne ; mais elle n’y vit que M. Fenouil, l’homme de confiance de Sa Seigneurie qui, l’abordant avec un salut assez familier, lui adressa les paroles suivantes :

« Je savais, madame, vous trouver ici ; car je vous suis depuis le moment où vous avez quitté votre hôtel, et j’ai à vous faire une communication qui vous intéresse.

— De la part du marquis de Steyne ? demanda Becky en s’efforçant de prendre un air de dignité qui déguisait mal l’agitation où la jetaient la crainte et l’espérance.

— Non, reprit l’homme de service, mais de ma part. Le climat de Rome est un climat fort malsain.

— Oh ! pas encore, monsieur Fenouil ; attendez à Pâques pour cela.

— Je vous répète, madame, qu’il est des gens auxquels il ne convient en aucune saison ; il y règne une mal’aria dont le souffle empoisonné fait des victimes en tout temps. Moi, je vous ai toujours considérée comme une brave femme, et, parole d’honneur, je serais fâché qu’il vous arrivât malheur. Vous voilà avertie ; c’est à vous maintenant de quitter Rome, à moins que vous ne soyez fatiguée de la vie. »

Becky s’efforçait de rire, mais elle était au comble de la rage et de la fureur.

« Vous plaisantez, monsieur Fenouil… On irait assassiner une pauvre femme ; voilà qui ressemble fort à du roman. Mi-