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ne voulons point nous en faire ici l’écho. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que Becky avait singulièrement baissé dans l’estime de son noble parent, qui jadis la voyait avec des yeux fort prévenus en sa faveur.

Bien que les émoluments de gouverneur à Coventry-Island ne soient pas fort considérables, une partie fut mise de côté par son excellence pour servir à acquitter certaines dettes ou être placée en rentes viagères ; les charges de cette position entraînaient d’ailleurs des dépenses considérables. Après avoir établi la balance de son budget, Rawdon constitua à sa femme une rente de trois cents livres sterling, qu’il s’engageait à lui faire tenir, à la condition expresse qu’il n’entendrait plus jamais parler d’elle. Autrement il se montrerait décidé à ne point reculer devant le scandale d’une séparation judiciaire. Mais, en somme, M. Wenham, lord Steyne, Rawdon lui-même, tout le monde enfin avait intérêt à étouffer cette malheureuse affaire et à faciliter à cette femme les moyens de sortir de la Grande-Bretagne.

Ce fut sans aucun doute le tracas des arrangements avec les hommes d’affaires qui empêcha mistress Rawdon de rien faire pour son fils, ou même d’aller le voir et lui dire adieu. L’enfant était sous le patronage immédiat de son oncle et de sa tante, qui avait réussi à entrer fort avant dans la confiance et la tendresse de leur neveu. Rebecca écrivit à l’enfant une lettre datée de Boulogne ; elle l’y exhortait à bien travailler, et lui annonçait qu’elle allait visiter le continent, que là elle se proposait bien de lui écrire encore plus d’une fois ; mais une année se passa sans qu’elle donnât aucun signe de vie, et elle ne se décida à écrire que lorsque le fils de sir Pitt, après une existence maladive, mourut enfin d’une complication de rougeole et de coqueluche. La mère de Rawdon écrivit alors à son cher fils une lettre des plus tendres ; cette mort, en effet, le rendait héritier de Crawley-la-Reine, et son excellente tante, qui était déjà comme une mère pour Rawdon, reporta sur lui toute l’affection qu’elle éprouvait pour l’enfant qui venait de lui être enlevé si cruellement. Le petit Rawdon Crawley était maintenant un beau et grand garçon, et il rougit beaucoup à la réception de cette lettre.

« Ma tante Jane, lui dit-il, ma véritable mère, c’est vous, et… non pas elle. »