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on eut tout lieu de croire qu’il n’irait pas plus loin que le cimetière de Madras, où il aurait sa place au milieu des tombeaux de tant de braves officiers morts loin de leur patrie.

Tandis que le pauvre malheureux était ainsi consumé par le feu de la fièvre, ceux qui veillaient à son chevet purent distinguer, à travers les paroles confuses qu’il prononçait dans son délire, le nom d’Amélia. À ces transports d’exaltation fébrile succédait, dans les moments lucides, une prostration complète en pensant qu’il ne la reverrait plus. Croyant sa dernière heure arrivée, il faisait ses préparatifs pour passer dans l’autre monde, mettait ses affaires en règle, et disposait de sa fortune en faveur de ceux qu’il désirait le plus en voir profiter. L’ami dans la maison duquel il logeait servit de témoin à son testament. Il demandait à être enseveli avec la petite chaîne de cheveux qu’il portait à son cou. Nous devons dire, pour ne point trahir la vérité, qu’il se l’était procurée par l’entremise de la femme de chambre d’Amélia, lorsqu’à Bruxelles il avait fallu couper les cheveux de la jeune veuve pendant la fièvre qu’elle avait eue à la suite de la mort de son mari.

Il parvint enfin à se rétablir, en dépit des saignées et des purgations auxquelles il n’échappa que grâce à la force de sa constitution. Il était presque réduit à l’état de squelette, lorsqu’il s’embarqua enfin sur le Ramchunder de la compagnie des Indes-Orientales, venant de Calcutta et relâchant à Madras. Le pauvre Dobbin était si faible, si épuisé, que son ami, qui l’avait soigné pendant le cours de sa maladie, augurait fort mal des résultats de ce voyage pour l’honnête major, et lui prédisait que quelque beau matin on serait obligé de le faire passer, proprement empaqueté dans son hamac, par-dessus le bord du navire, emportant au fond de la mer la relique qu’il avait toujours sur le cœur. Mais, malgré le prophète et ses prophéties, l’air bienfaisant de la mer, ou peut-être mieux encore l’espérance qui renaissait plus vivace au cœur du convalescent, à mesure que le navire traçait son sillage d’écume sur les flots, rendit la vie et la santé à notre ami, et il était parfaitement guéri avant que l’on touchât le Cap.

« Allons, disait-il en riant, Kirk n’aura pas encore cette fois ses épaulettes de major, lui qui pensait les trouver toutes prêtes à son arrivée à Londres avec le régiment. »

Il faut qu’on sache que dans le temps que le major était