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son pupitre, fit courir sa plume sur le papier sans trop savoir ce qu’il écrivait, et envoya ces quelques lignes à sir Pitt ou lady Crawley, et chargea le même commissionnaire de les porter sur-le-champ à Gaunt-Street, de prendre un cabriolet au besoin ; il y avait une guinée pour lui s’il lui rapportait la réponse avant une heure.

Dans ce billet, il suppliait son frère et sa sœur, pour l’amour de Dieu, au nom de son fils et de son honneur, de le tirer de la triste situation dans laquelle il était tombé ; il était en prison, il avait besoin de cent livres pour recouvrer sa liberté, il les suppliait de venir le délivrer.

Après avoir expédié sa lettre, il revint prendre sa place à table et demanda du vin. Sa conversation bruyante, ses éclats de rire stridents avaient quelque chose d’étrange et de sinistre. À plusieurs reprises il partit d’un ricanement convulsif en songeant à ses terreurs. Cette heure se passa pour lui à boire et à faire le guet, cherchant à saisir le moindre bruit qui lui annonçât la voiture qui allait lui rapporter sa destinée.

À l’expiration du temps fixé, il entendit un bruit de roues devant la porte, et le jeune garçon aux cheveux rouges sortit avec son trousseau de clefs. Une dame attendait dans le salon des visiteurs.

« Le colonel Crawley ? » demanda-t-elle d’une voix toute tremblante.

Après lui avoir fait un signe d’intelligence, le garçon referma la porte extérieure sur elle, puis il revint dans la salle à manger, où il dit à Crawley :

« Colonel, on vous demande. »

Rawdon quitta la pièce d’un bond et descendit au parloir, laissant tous les autres convives occupés gaiement à sabler le champagne ; un faible rayon de lumière tombait à travers la fente de la porte sur cette dame, qui paraissait fort agitée.

« C’est moi, Rawdon, lui dit-elle d’une voix tremblante dont elle cherchait à déguiser l’émotion ; c’est moi, Jane. »

Rawdon en croyait à peine ses yeux et ses oreilles. Il s’élança vers elle, la serra dans ses bras, articula quelques remercîments inintelligibles, puis, s’appuyant sur son épaule, donna un libre cours à ses sanglots. Quant à elle, elle ne comprenait rien à cette émotion.

Il ne fut pas difficile d’obtenir la quittance de M. Moss. Ce