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sur son lit à Argos. Une lampe suspendue au plafond projette sur le guerrier assoupi ses clartés vacillantes ; l’épée et le bouclier renvoient aussi une lueur lugubre ; l’orchestre joue le terrible morceau de l’opéra de Don Juan au moment de l’entrée du commandeur.

Égisthe, la figure pâle et bouleversée, arrive sur la pointe des pieds. Quelle est cette sinistre apparition qui suit ses mouvements à travers les ténèbres et semble le tenir sous sa funeste influence ? Égisthe lève le bras pour frapper la noble victime qui présente à ses coups homicides sa poitrine à découvert ; il va frapper, mais non, sa main n’ose s’abaisser sur le roi des rois, sur le vainqueur d’Ilion. Clytemnestre alors se glisse dans la chambre comme un fantôme, ses bras sont d’une blancheur éblouissante, ses longs cheveux flottent en désordre sur ses épaules, sa figure est couverte d’une pâleur mortelle, ses yeux jettent un éclat sinistre et terrible qui fait tressaillir tous ceux qui la regardent.

Un frisson glacial a parcouru tous les assistants.

« Mon Dieu ! dit-on tout bas, c’est mistress Rawdon Crawley. »

Avec un geste de mépris sublime, elle arrache le poignard aux mains d’Égisthe, s’avance vers le lit, et aux reflets de la lampe on voit le poignard levé sur la tête du guerrier qui sommeille ; la lampe s’éteint alors, un gémissement inarticulé se fait entendre, un silence de mort règne sur la scène.

L’obscurité mêlée à la terreur de cette scène a vivement impressionné le public. Rebecca a joué son rôle avec une vérité si effrayante que les spectateurs restent comme frappés de stupeur à leur place jusqu’au moment où les lampes se rallument au milieu des applaudissements partis de tous les points de la salle.

« Brava ! brava ! crie le vieux Steyne d’une voix stridente qui domine toutes les autres. Morbleu ! murmurait-il entre ses dents, elle aurait bien été capable de jouer le rôle au sérieux. »

Les spectateurs redemandent tous les acteurs ; les cris de : l’auteur ! Clytemnestre ! se font entendre par-dessus les autres. Agamemnon, n’osant s’aventurer sur la scène avec la tunique classique, reste dans les coulisses avec Égisthe et les autres acteurs de ce petit drame. M. Bedwin Sands s’avance alors conduisant par la main Zuleika et Clytemnestre. Un grand per-