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« Vous parlez le français dans la perfection, lui dit d’un air pincé lady Grizzel, qui se piquait de parler fort bien cette langue, mais qui ne pouvait se défaire d’un accent écossais des plus désagréables.

— Pourrais-je ne pas le savoir, dit Becky d’un ton modeste et en baissant les yeux vers la terre ; je l’ai appris en pension, et de plus ma mère était Française. »

Lady Grizzel fut attendrie par l’humilité de cette petite femme. Tout en déplorant les fatales tendances d’un siècle égalitaire qui laissait arriver des personnes de toute condition dans les rangs supérieurs de la société, elle reconnaissait du moins que mistress Rawdon avait le tact nécessaire pour se conduire et ne pas sortir de la place que sa naissance lui avait assignée. Cette noble dame avait du reste une excellente nature, faisait de larges aumônes aux malheureux, mais dans son esprit borné et mesquin, elle s’était persuadée, mon cher lecteur, qu’elle était d’une pâte bien préférable à vous et moi.

Lady Steyne, elle-même depuis la scène du piano, avait aussi subi l’ascendant de Becky, et peut-être au fond n’éprouvait-elle pas pour elle une trop vive répugnance. Les jeunes dames de la maison de Gaunt avaient aussi fini par se radoucir ; deux ou trois fois, mais inutilement, elles avaient cherché à susciter des affaires à Becky. Quand Becky se voyait attaquée, elle prenait un air ingénu et candide à la faveur duquel elle ripostait par les plus cruelles méchancetés, qui laissaient tout étourdis ceux qui d’abord avaient pensé l’humilier et la réduire au silence.

M. Wagg, le bel esprit, le boute-en-train de la maison, l’écuyer tranchant de milord Steyne, reçut des dames de la maison la mission délicate de faire contre Becky une charge à fond de train. Ce vaillant champion de la petite coterie féminine, jetait à ses protectrices un regard souriant et vainqueur, et il clignait de l’œil comme pour leur dire : Attention ! nous allons bien nous amuser. En effet, il ouvrit le feu contre Becky qui mangeait tranquillement sa soupe. La petite femme prise à l’improviste, mais toujours équipée pour le combat, se mit en garde sur-le-champ, et riposta avec une vigueur qui fit rougir de honte M. Wagg ; puis elle se remit à manger son potage avec un calme et un sourire placide.

Le protecteur de M. Wagg, lord Steyne, qui le recevait à sa