Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Londres le savait, et ceux qui autrefois criaient haro sur cette honnête personne restaient désormais bouche close. Wenham, légiste et bel esprit, âme damnée de lord Steyne, allait partout redisant les louanges de Rebecca. L’impulsion une fois donnée, les plus hésitants finirent par aller au-devant d’elle, et dès lors sa position se trouvait prise parmi les gens comme il faut. Mais, mes chers lecteurs, ne vous pressez pas trop d’envier le sort de Rebecca : la gloire de ce monde, comme on dit, est bien passagère. L’expérience a démontré depuis longtemps que les plus heureux sont toujours les plus éloignés du soleil ; Becky, qui avait pénétré dans les boudoirs de la mode ; Becky, qui s’était trouvée face à face avec le grand George IV, Becky avouait par la suite que tout ici-bas n’est que fumée et vanité.

Nous passerons rapidement sur cette partie de son histoire ; car il nous serait aussi impossible de la raconter qu’à un profane de dévoiler les rites de la franc-maçonnerie, et de crainte de faire du grand monde un portrait peu ressemblant, nous aimons mieux n’en rien dire du tout et garder nos opinions pour nous.

Becky, par la suite, a souvent entretenu ses amis de cette époque de sa vie de ce temps où elle fréquentait à Londres les salons de la mode et de l’aristocratie. Elle s’enivra d’abord des fumées de l’orgueil, des applaudissements du triomphe, mais elle se lassa bien vite de cette monotonie du succès. Ce fut d’abord pour elle une occupation des plus attrayantes que la préparation de ces jolies toilettes, de ces parures séduisantes. Ce n’était du reste que par un sublime effort d’intelligence qu’elle pouvait établir l’équilibre entre ses faibles ressources et les impérieuses nécessités de la coquetterie ; qu’elle pouvait se procurer les toilettes indispensables pour se montrer à ces grands dîners, à ces réunions élégantes, pour se mêler à cette société d’élite avec laquelle elle se retrouvait tous les jours. Il s’agissait de marcher de pair à égal avec ces jeunes gens à la cravate irréprochable, aux bottes vernies, aux gants jaunes, avec ces hommes à la belle prestance, aux boutons dorés, à l’air noble, aux manières tout à la fois polies et hautaines ; avec ces jeunes filles blondes, roses et timides ; avec ces respectables matrones à la taille élevée et majestueuse, belles encore malgré les années et toutes ruisselantes de diamants. Les anciennes amies de Becky la voyaient d’un œil d’envie et de haine, tandis