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aurait dû hériter. Il proposait en outre de faire une rente à mistress George Osborne pour lui assurer une vie honorable ; et dans le cas où mistress George viendrait à se remarier, suivant le projet qu’on lui en prêtait, il ne lui retirerait point cette rente. L’enfant, bien entendu, vivrait avec son grand-père à Russell-Square ou partout où il plairait à ce dernier de le conduire ; de temps à autre on enverrait le petit George chez mistress Osborne, pour ne pas la priver tout à fait de son fils. Ces propositions furent remises à mistress Osborne, dans une lettre qu’on lui apporta un jour où sa mère était sortie et où son père s’était rendu à la Cité, comme à son ordinaire.

Il n’est guère possible de citer dans toute sa vie que deux ou trois circonstances où elle se mit en colère, mais l’homme d’affaires de M. Osborne put voir ce qu’elle était alors. Quand elle eut parcouru la lettre dont M. Poe était porteur, elle se leva dans un état d’exaltation nerveuse, déchira le papier en mille morceaux et le foula aux pieds.

« Me remarier !… vendre mon enfant !… Mais peut-on bien avoir l’audace de m’insulter à ce point ! Dites à M. Osborne que sa lettre est une infamie, entendez-vous, monsieur, une infamie… Voilà ma seule réponse, et vous pouvez la reporter à qui vous envoie. »

Et après un profond salut elle sortit de la chambre, en laissant l’homme de loi tout stupéfait.

À leur retour, ses parents ne remarquèrent point son trouble et son émotion, et jamais elle ne leur ouvrit la bouche sur cette entrevue. Ils avaient à se préoccuper, d’ailleurs, de bien d’autres affaires auxquelles l’affectueuse et tendre Amélia prenait aussi le plus vif intérêt. Son vieux père s’adonnait toujours à ses manies de spéculation. Nous avons déjà vu quel avait été entre ses mains le sort de la Société Œnophile ; ses courses dans la Cité n’en continuaient pas moins avec une infatigable persévérance. Il germait toujours dans cette malheureuse tête quelque projet d’entreprise nouvelle dont l’auteur augurait un si heureux succès qu’il s’y embarquait en dépit des remontrances de M. Clapp ; il n’avouait jamais à son fidèle commis la gravité et l’étendue de ses engagements qu’après l’insuccès de l’affaire. C’était aussi pour M. Sedley un principe inflexible que les affaires d’argent ne devaient point être traitées devant les femmes ; aussi mistress Sedley et mistress Osborne n’avaient