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Ah ! le pauvre William se sentait alors bien chagrin et bien triste ; plus que jamais il souffrait des tortures de l’isolement. Il aurait voulu en avoir fini avec la vie, avec les vanités et les déceptions dont elle est semée, tant la lutte lui paraissait désespérée et douloureuse, tant l’horizon se montrait à lui sous de sombres aspects ! Sa nuit se passa au milieu des plus cruelles insomnies, ne sachant s’il se déciderait à partir pour l’Angleterre. Fidélité, amour, constance, rien n’avait touché le cœur insensible d’Amélia ; et on eût dit qu’elle fermait à dessein les yeux pour ne point voir tant d’amour.

« Amélia, s’écriait-il au milieu du silence de la nuit, songez que vous êtes la seule que j’aie aimée, que j’aime encore au monde, malgré votre cœur de marbre, malgré votre indifférence après les soins que je vous ai donnés dans des temps de douleur et de souffrance, malgré ces sourires que vous aviez sur les lèvres au moment de nos adieux et qui semblaient me dire que vous ne pensiez déjà plus à moi avant même que je vous eusse quittée. »

Ah ! sans doute Amélia aurait eu pitié de lui, si elle l’avait vu dans le triste état où elle venait de le jeter. Le major crut trouver une consolation, un adoucissement à ses tortures en relisant toutes les lettres qui lui venaient d’Amélia, depuis ses lettres d’affaires touchant le petit capital qu’elle croyait tenir de son mari, jusqu’aux moindres billets d’invitation, au moindre carré de papier sur lequel se trouvait un délié de sa main. Ces lettres étaient toutes empreintes d’une froideur qui ne laissait point de place à l’espérance.

S’il se fût trouvé là une douce et aimable créature capable de lire dans ce noble cœur et de comprendre tout ce qu’il se trouvait de grandeur et de délicatesse dans sa réserve, le prestige qui environnait Amélia se serait peut-être évanoui tout naturellement, et l’amour de Dobbin aurait eu désormais des destinées calmes et paisibles. Mais le major n’avait alors d’autres rapports d’intimité que ceux auxquels s’efforçait de le provoquer la fringante Glorvina, la brillante Irlandaise aux boucles d’ébène ; et, il faut le dire, cette altière beauté songeait bien moins à s’assurer l’amour du major que ses adorations. Elle avait entrepris là une tâche bien difficile et bien ingrate, à en juger d’après les moyens auxquels elle était obligée d’avoir recours pour en venir à ses fins.