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montrer à Russell-Square, disait le vieillard en revenant un soir avec sa fille de chez mistress Frédéric Bullock, où ils avaient dîné tous deux. Elle invite son père et sa sœur à venir manger les restes de ses grands galas, car le diable m’emporte si ces plats n’en étaient pas à la seconde apparition ; et puis elle nous reléguera avec les gens de la cité ou quelque gratte-papier, en réservant les comtes, les lords et les ladies, et toute sa clique aristocratique, pour une meilleure occasion. Avec cela qu’elle est belle, son aristocratie !… tas de courtisans, de parasites, de pique-assiettes que tous ces gens-là ! Allons, Jack, un coup de fouet aux chevaux ; nous devrions déjà être rentrés à Russell-Square ! »

Puis il se rejeta brusquement dans le fond de la voiture, avec un ricanement convulsif.

Lorsque mistress Frédéric accoucha de son premier enfant, Frédéric-Auguste-Howard-Stanley-Devereux Bullock, le vieil Osborne fut prié d’assister au baptême et d’être le parrain du nouveau-né ; mais il se contenta d’envoyer une timbale en or pour l’enfant et vingt guinées pour la nourrice.

« Je voudrais bien savoir si un de leurs grands seigneurs en a jamais autant donné, » se disait-il à part lui.

Il refusa du reste d’assister à la cérémonie.

Ce magnifique cadeau fit très-grand plaisir aux Bullock. Maria en conclut aussitôt que son père avait un faible pour elle, et Frédéric entrevit déjà un splendide avenir pour son jeune héritier.

On peut difficilement se faire une idée des souffrances endurées par miss Osborne, lorsque dans sa solitude de Russell-Square elle voyait dans le journal le nom de sa sœur cité parmi les élégantes du jour ; la description de la toilette qu’elle portait pour sa présentation à la cour par lady Frédérica Bullock. Hélas ! en comparaison, la vie de Jane s’écoulait bien triste et bien maussade ; elle ne connaissait ces jouissances de l’amour-propre et de l’orgueil que pour en apprécier la privation. Dans l’hiver, elle avait à se lever dès le matin pour préparer le déjeuner du vieillard grondeur et bourru, qui aurait mis la maison sens dessus dessous si son thé n’avait pas été prêt pour huit heures et demie. À neuf heures et demie, son tyran se levait et partait pour la Cité.

Le temps qui s’écoulait alors jusqu’au dîner se passait pour