Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main, jurant qu’il voulait couper en deux la figure d’un certain drôle qu’il saurait bien trouver.

Cette rupture, du reste, ne fut que passagère ; le père de Frédéric et ses amis lui conseillèrent de prendre Maria et de se contenter de ses vingt mille livres sterling, dont la moitié était payée comptant et le reste devait être touché à la mort de M. Osborne, avec une chance éventuelle de partage pour le surplus. Frédéric se résigna en conséquence à mettre les pouces, comme il disait élégamment. M. Osborne rechigna d’abord, puis consentit enfin ; car Hulker et Bullock tenaient une place élevée dans l’aristocratie financière et avaient des relations avec les plus gros bonnets de la banque. Quelle satisfaction de pouvoir dire : « Mon gendre est de la maison Hulker, Bullock et Comp. ! » En présence de telles considérations, la célébration du mariage fut décidée.

Les jeunes époux eurent un hôtel non loin de Berkeley-Square et une petite villa à Roehampton, rendez-vous champêtre de presque toute la finance. Auprès des femmes de sa famille, Frédéric passait pour avoir fait une mésalliance ; ces dames oubliaient que leur grand-père sortait de l’hospice des Enfants-Trouvés : leurs maris, il est vrai, appartenaient à quelques-unes des plus nobles familles de l’Angleterre. Maria comprit que le soin de sa dignité et les noms qui figuraient sur la liste de ses visites lui imposaient l’obligation de faire oublier autant que possible la bassesse de son extraction : elle résolut, en conséquence, de voir son père et sa sœur le moins possible.

Elle avait, toutefois, trop de bon sens pour songer à mettre de côté ce vieillard, dont elle pouvait encore espérer une vingtaine de mille livres sterling. Frédéric Bullock, d’ailleurs, ne l’aurait point souffert. Mais, avec ses bonnes intentions, elle n’avait pas encore assez d’usage et de pratique pour savoir bien dissimuler. Elle n’invitait son père et sa sœur qu’à ses petites soirées, et les recevait avec une extrême froideur, se montrait fort rarement à Russell-Square, priait son père de quitter ce quartier, où l’on ne voyait que des gens du commun, et par là se faisait un tort énorme, malgré les efforts de Frédéric Bullock à réparer le mal par sa diplomatie. Ces puériles et ridicules niaiseries finissaient par compromettre gravement les droits de sa femme à la succession.

« Voilà Maria devenue trop grande dame pour daigner se