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« Je voudrais bien que ma mère cessât de lui administrer ses médecines, fit lady Jane avec un soupir ; leur suppression complète serait pour sa santé une excellente chose. »

Lady Jane entrait là dans une voie de confidence qui est un sujet intarissable pour les jeunes mères de famille. Ces épanchements intimes contribuèrent singulièrement à cimenter l’amitié des deux jeunes femmes. Au bout d’une demi-heure, elles furent les meilleures amies du monde, et le soir, lady Jane déclarait à sir Pitt que sa belle-sœur était la plus charmante et la plus aimable créature du monde.

Une fois maîtresse de l’esprit de la fille, l’infatigable petite intrigante combina ses efforts pour s’emparer de celui de la mère. Au premier moment où elle se trouva seule avec Sa Seigneurie, Rebecca la mit bien vite sur la question des soins à donner aux enfants ; elle lui dit qu’elle n’avait conservé son petit garçon que pour lui avoir administré le calomel à de très-fortes doses, alors que les médecins de Paris le condamnaient tous. Elle ajouta qu’elle avait l’honneur de connaître déjà lady Southdown pour avoir entendu parler d’elle au révérend Lawrence Grills dans la chapelle de May-fair, où elle allait faire ses dévotions ; ses opinions à ce sujet, donnait-elle à entendre, s’étaient bien modifiées en passant au creuset de l’infortune ; elle témoigna le désir de s’éloigner de plus en plus de la dissipation et de l’erreur au milieu desquelles elle avait vécu, pour se régler sur la conduite de personnes pieuses et exemplaires. Les instructions religieuses de M. Crawley avaient fait, ajoutait-elle, une grande impression sur son esprit, et elle s’était sentie très-édifiée en lisant la Blanchisseuse de Finchley Common. Elle demanda des nouvelles de lady Emily, cette femme si supérieure devenue désormais lady Emily Cornmiouse et demeurant au cap avec son mari, qui avait des chances pour voir réussir sa candidature à l’évêché de Cafrerie.

Enfin elle acheva de se concilier les bonnes grâces de lady Southdown, en simulant une défaillance et une attaque de nerfs après les funérailles du baronnet, et en réclamant le ministère médical de Sa Seigneurie. Non-seulement la douairière vint elle-même en camisole lui apporter la drogue demandée, mais elle y joignit encore un choix de ses brochures favorites, et insista beaucoup pour que mistress Rawdon acceptât ses deux présents.