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qu’Horrocks avait précédemment pris à loyer du baronnet. L’ex-sommelier ayant ensuite, avec ses économies, acheté quelques immeubles, finit par avoir une voix aux élections. Celle du ministre et de quatre voisins, se joignant à celle-là, formaient le collége électoral envoyant au parlement les deux membres pour représenter Crawley-la-Reine.

Il s’établit bientôt une échange de politesses entre les dames du presbytère et celles du château. Il n’est ici question que de lady Jane, car pour ce qui concerne lady Southdown, ses entrevues avec mistress Bute dégénéraient toujours en vraies batailles, si bien que ces deux dames finirent par éviter mutuellement de se rencontrer. Sa seigneurie s’enfermait dans sa chambre quand la cure venait rendre visite au château. M. Pitt n’était peut-être pas trop fâché, au fond, de se sentir de temps à autre soulagé de la présence de sa belle-mère.

La famille des Binkie était sans aucun doute à ses yeux la plus recommandable de l’Angleterre par sa noblesse et son bon sens ; mais les airs d’autorité qu’affectait lady Southdown, finissaient par le fatiguer et lui peser. Il était sans doute très-flatteur pour sa personne de passer encore pour un jeune homme à quarante-six ans, mais il n’en était pas moins mortifiant de ne pas se sentir à cet âge plus libre qu’un enfant. Quant à lady Jane, elle n’aurait point fait résistance à sa mère, et du reste l’amour de ses enfants absorbait toutes ses facultés. Fort heureusement pour elle, les nombreuses et importantes affaires de lady Southdown, ses conférences avec les ministres, sa correspondance avec les missionnaires de l’Afrique, de l’Asie et de l’Australie, etc., occupaient à un tel point la vénérable comtesse, qu’il ne lui restait point de temps pour songer à l’éducation de la petite Mathilde et de son petit-fils maître Pitt Crawley. Ce dernier était d’une nature maladive, et s’il était encore en vie, lady Southdown l’attribuait aux doses redoublées de calomel qu’elle lui faisait prendre.

Quant au vieux sir Pitt, il passait ses derniers jours de lutte avec la vie dans les appartements où était morte la dernière lady Crawley. Il était soigné par la petite Esther, remplie pour lui des soins les plus touchants et les plus infatigables. Qu’y a-t-il à comparer à la tendre sollicitude d’une garde-malade dont on paye les services ? Qui saurait mieux qu’elle battre les coussins, préparer les soupes et les tisanes ? Ces femmes passent