Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le matin, de bonne heure, par les soins de la femme du ministre, une estafette fut dépêchée à M. Pitt Crawley. Cette excellente dame s’était attribué la haute direction de toutes les mesures à prendre dans les circonstances actuelles et avait veillé le vieux baronnet pendant toute la nuit. On était parvenu, avec beaucoup de difficultés, à lui rendre comme un souffle de vie, il ne pouvait plus parler, mais du moins il semblait reconnaître son monde. Mistress Bute restait à son chevet avec un courage vraiment héroïque. On eût dit qu’elle était forte à pouvoir se passer de sommeil. Ses yeux noirs restaient tout grands ouverts, tandis que le docteur ronflait du meilleur cœur dans son fauteuil. Horrocks avait fait des efforts désespérés pour maintenir contre elle son autorité ; mais mistress Bute le traita d’ivrogne et de débauché, lui enjoignit de déguerpir au plus vite de la maison, et le menaça, s’il avait le malheur de s’y montrer de nouveau, de le faire transporter à Botany-Bay avec son abominable fille.

Intimidé par la résolution du ton et des gestes de mistress Bute, il se glissa jusqu’à la pièce boisée où M. James, après s’être assuré qu’il n’y avait plus de liquide dans la bouteille placée sur la table, ordonna à M. Horrocks d’en apporter une autre avec des verres propres ; le ministre et son fils prirent alors place pour fêter la nouvelle venue, après quoi ils enjoignirent à Horrocks de leur remettre les clefs et de gagner la porte par le plus court chemin.

En présence d’un ordre aussi catégorique, Horrocks pensa que ce qu’il avait de mieux à faire était de remettre les clefs. Puis avec sa fille il délogea sans tambours ni trompettes, profitant des ténèbres de la nuit.

Telle fut la fin de la puissance et de la grandeur de ces deux honnêtes personnes dans le château de Crawley-la-Reine.

Séparateur