Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fût bien passée ; eh bien ! ma chère, votre mari vous lit sans doute ses sempiternels sermons ? le centième psaume de l’hymne du soir, n’est-ce pas cela, maître Pitt ? Allez donc, Horrocks, vite un verre de Malvoisie et un gâteau pour lady Jane. Qu’avez-vous à rester là tout ébahi, comme un cochon dressé pour le roussir. Je ne vous engage pas à passer quelques jours avec moi ; vous vous ennuieriez trop, et vous ne m’amuseriez pas beaucoup ; un vieux racorni comme moi a des habitudes auxquelles il tient, et moi, je passe ma vie entre ma pipe et mon trictrac.

— Je sais jouer aussi au trictrac, dit lady Jane avec un sourire ; j’y faisais la partie de mon père et celle de miss Crawley. N’est-ce pas, mistress Crawley ?

— Lady Jane pourrait jouer avec vous à ce jeu qui semble avoir toutes vos prédilections, repartit Pitt d’un ton toujours solennel.

— N’importe, ce n’est pas là une raison pour que vous vous installiez ici ; non, non. Allez à Mudbury, où mistress Riencer sera enchantée de vous recevoir, ou bien à la cure, où Bute vous offrira à dîner. Il sera ravi de vous voir, j’en suis sûr ; il vous a une si grande obligation de lui avoir soufflé l’héritage de la tante. Ah ! ah ! vous aurez là de quoi boucher les trous du château quand j’aurai descendu la garde.

— Je me suis aperçu, monsieur, dit Pitt avec son arrogance habituelle, que vos gens ont fait un assez gros abattis des arbres du parc.

— Oui, le temps est superbe et bien agréable pour la saison, répondit sir Pitt devenu sourd comme par enchantement. Je me fais bien vieux, Pitt, si vous saviez. Le ciel vous accorde encore de longues années, mais vous n’êtes pas loin vous-même de la cinquantaine. Du reste, il ne les porte pas mal, n’est-ce pas, ma gentille lady Jane. C’est pieux, c’est sobre, enfin ça mène une vie exemplaire. Regardez-moi, je ne suis pas bien loin des quatre-vingts. »

Il se mit à rire, prit une prise de tabac, fit des agaceries à lady Jane et lui serra la main. Pitt chercha vainement à ramener la conversation sur la coupe des arbres. Le baronnet devenait sourd au même instant.

« Hélas ! je me fais bien vieux, et mon lombago m’a fait bien souffrir cette année. Je n’ai plus longtemps à passer ici-bas :