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à mal faire, et que l’autre le suit. Cependant tous deux sont coupables devant celui qui condamne et qui punit tout malfaiteur. Être le dernier à outrager n’est point une excuse : le temps et le lieu ne séparent point ce qui est uni par un même caractère. C’est donc un commandement absolu qu’on nous fait de ne rendre jamais le mal pour le mal. Or, comment observerons-nous ce précepte, si nous ne témoignons un noble dédain pour la vengeance ? Quel honneur sacrifierons-nous à Dieu, si nous nous attribuons le droit de nous défendre comme il nous plaira ?

Vases de terre que nous sommes, remplis de faiblesse et de misère, nous condamnons rigoureusement un de nos domestiques qui a osé se venger d’un autre. Nous approuvons ceux qui, se souvenant de leur bassesse, de leur sujétion et du respect qu’ils doivent à leurs maîtres, ont besoin de nous remettre leurs intérêts, et nous leur procurons une satisfaction plus grande qu’ils n’eussent pu la prendre par eux-mêmes. Faut-il craindre que nous risquions quelque chose, quand nous confions nos intérêts à Dieu notre souverain Seigneur, ce Dieu si équitable dans ses jugements et si puissant dans l’exécution de ses arrêts ? En vain nous le regardons comme juge, si nous ne le regardons pas comme vengeur. C’est sous ce dernier titre qu’il veut que nous le considérions lorsqu’il dit : « Laissez-moi la vengeance, et je vous vengerai ; » comme s’il disait : Remettez-vous à moi de l’injure qu’on vous aura faite, et votre patience sera récompensée. Ainsi quand ce divin Maître nous dit : « Ne jugez point afin que vous ne soyez pas jugés, » ne demande-t-il pas notre patience ? car de qui est-ce qu’on peut dire qu’il ne juge point les autres, sinon de celui qui ne se soucie point de se défendre ? Au contraire, celui qui juge, quand il voudrait au même temps faire grâce, il ne peut éviter le reproche d’avoir jugé inconsidérément et d’avoir par là ravi au souverain juge l’honneur qui lui appartient.

Hélas ! en combien de malheurs l’impatience n’a-t-elle