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L’inceste, puisque vous reconnaissez que Saturne et Ops étaient frère et soeur. Jupiter ne vaut pas mieux. Enfant dérobé à son père, je trouve en lui trois choses qui répugnent à un dieu : le toit qu’il occupe, la nourrice qui l’allaite, et sa cruauté personnelle. Aussitôt qu’il est adulte, il immole son père, quel qu’il fût, roi pacifique qui donnait à l’univers le siècle d’or, sous lequel on ne connaissait ni travail ni indigence ; sous lequel les laboureurs n’étaient pas contraints d’ensemencer la terre, parce qu’elle donnait tout sans qu’on lui demandât rien. . . . . .

Mais, dira-t-on, il haïssait un père dénaturé qui avait mutilé le sien. . . . . . Fort bien ! Mais voilà que Jupiter lui-même épouse sa sœur, si bien que c’est pour lui sans doute qu’a été fait-ce proverbe grec : Digne fils de son père. Tel père, tel fils. Si les lois eussent été en vigueur alors, Jupiter aurait été cousu dans deux sacs. . . . . . Une fois souillé par l’inceste, pouvait -il reculer devant des voluptés moins honteuses ? Aussi la poésie a-t-elle fait un jeu de ses infamies. Nous le voyons, après avoir déserté le ciel, tantôt, métamorphosé en taureau, enlever une jeune vierge ; tantôt descendre en pluie d’or pour corrompre les gardiens d’une tour ; tantôt adultère sous les plumes d’un cygne. . . . . . Il n’a rien à envier aux débauches de l’homme. Même nature, mêmes mœurs. Mais combien est au-dessous des mortels le dieu qui n’est pas meilleur qu’eux ! Vous lui donnez le nom de Jupiter très-bon. Virgile l’a mieux désigné, quand il a dit : Le très-bon Jupiter est égal à tous[1]. Il a été incestueux envers les siens, impudique envers des étrangers, impie, injuste. . . . . . Point d’infamie qui ne l’ait rendu tristement célèbre. . . . . . Donc il n’a point mérité de devenir dieu.

XIV. Mais puisque vous prétendez que d’autres hommes ont été transformés en dieux pour des motifs particuliers, et qu’il faut distinguer, d’après Denys le Stoïcien, entre ceux

  1. Jeu de mot fondé sur la double signification de aequus, juste ou égal.