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pas la réplique. Parfois il s’arrêtait, citait un beau vers ou déclamait tout un passage d’un poète, terminait par une plaisanterie ou un bon mot, allumait une cigarette, s’asseyait sur une pierre, racontait une anecdote drôlatique. La cigarette achevée, on causait géologie, et l’on se remettait en marche. La chaleur et le froid, la pluie et le soleil, la neige même, lui étaient fort indifférents ; l’heure du dîner ne le préoccupait guère, et souvent la journée s’allongeait jusqu’à la nuit noire ; jamais il ne prenait de notes pendant la course, et jamais il ne crayonnait sa carte avant le retour au gîte. Même au gîte, il écrivait et dessinait fort peu, se contentant de ranger et d’enfermer ses observations dans sa mémoire, la plus vaste et la plus fidèle que j’aie connue. Le repas du soir était d’une gaieté extraordinaire ; il riait de tout, comme un enfant, heureux, d’une belle joie de nature, de se rassasier et de se désaltérer. Ensuite, il prenait du café, écrivait à sa femme ― il lui écrivait presque chaque jour, ― fumait force cigarettes, parlait de n’importe quoi, déclamait des vers et disait des choses folles, jusqu’à ce qu’il tombât de lassitude et de sommeil. Il dormait alors à poings fermés, quel que fût le lit ; et l’on avait, le lendemain matin, une véritable peine à le réveiller et à le remettre debout. Après cinq ou six jours de semblables courses, ses vêtements, souillés au contact de toute une série sédimentaire, et rarement brossés, avaient pris un aspect lamentable. Il ne s’en souciait guère ou même ne s’en doutait pas ; et il continuait d’aller, imperturbablement, pareil à un chemineau grandiloquent et misérable, parlant seul, tout haut, le long des routes ou dans les rues des villages, et déclamant des tirades incohérentes au grand trouble des paysans ou des boutiquiers.

Il eut quelques compagnons de voyage qui ne s’habituèrent jamais à ce mélange singulier et charmant de science précise et de fantaisie joyeuse, et dont la solen-