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surface de notre planète. » On connaîtra plus tard à quel point, en matière de charriages, Marcel Bertrand a presque tout dit et presque tout prévu.

Au mois de juillet de 1898, il était venu, sur ma demande, passer quelques jours dans les montagnes qui séparent Briançon de Vallouise, et nous avions essayé de résoudre ensemble les difficultés de la tectonique briançonnaise. Jamais je ne l’avais trouvé si perspicace dans l’observation, si ardent dans la discussion, si fécond dans l’invention : il avait vu tant de pays, exploré tant de montagnes, édifié, démoli et réédifié tant d’hypothèses ! Mais, si l’esprit s’était agrandi, le corps s’était fatigué. L’ascension, chaque matin, après ce repos insuffisant que l’on goûte sur la paille ou le foin des bergeries, était lente et pénible. Vers midi seulement, quand nous étions sur les crêtes et que nos regards se promenaient librement du Pelvoux au Viso, il retrouvait toute sa vigueur. La beauté du problème semblait lui donner des ailes. Il oubliait sa fatigue, et c’était moi, quand le soir approchait, qui devais l’arracher à notre dure besogne et l’obliger à descendre vers les hameaux. Parmi cent autres souvenirs, gais ou mélancoliques, de ces dernières courses communes en haute montagne, celui-ci m’est resté particulièrement présent. Le sommet de la Croix d’Aquila, 2.500 mètres d’altitude, cinq heures du soir, une journée d’or. Autour de nous, à l’infini, des cimes et puis des cimes, encore en pleine lumière, et, entre elles, des vallées déjà envahies par l’ombre. Le grand et bon Maître, à qui je rappelle vainement qu’il se fait tard et que nous sommes très loin du gîte, s’attarde à ramasser des edelweiss, dont il veut envoyer un bouquet à sa fille Jeanne. Son visage, tout à l’heure fatigué et précocement vieilli, a soudain rajeuni et s’est illuminé à contempler l’immarcescible jeunesse de ces étranges fleurs : tant est puissante, pour alléger le poids de l’existence, la seule pensée de la joie d’un être