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il sait que c’est bien mon existence qui lui a valu de boire jusqu’à la lie la coupe des humiliations. Il se résigna, mais en exigeant néanmoins une double fiche de consolation : cédant la place officielle à Nathan, qui d’ailleurs lui prendra bientôt l’autre, il se fit décerner, faute de mieux, le titre de grand-maître d’honneur du Grand Orient d’Italie, et… il garda la caisse. Car, voyez-vous, le coffre-fort est plus cher au cœur d’Adriano que tous les titres, auxquels il tenait pourtant. Ainsi, le F ▽ Silvano Lemmi, fils d’Adriano, fut nommé grand-trésorier du Grand Orient d’Italie.

Nathan, aussitôt élu, tint à se signaler par son zèle. Il a eu des éclats bruyants ; on a lu ses retentissantes circulaires. Il ne parle pas en simple grand-maître de la Maçonnerie Italienne il affecte déjà de s’adresser aux FF∴ du monde entier. On sent qu’il pose dès à présent, auprès des Triangles, sa candidature de chef suprême, en cas d’une vacance possible. Adriano n’aura peut-être pas tort de surveiller sa cuisine.

Or, Nathan examina la situation. Par les faits, que je vais énumérer tout à l’heure, — et je ne serai pas démentie, — il est facile de distinguer quel raisonnement il se tint.

En premier lieu, le grave danger pour la secte était l’organisation des forces antimaçonniques par le Congrès de Trente. Il fallait donc jeter dans le camp catholique le trouble, la division, le désarroi, si c’était possible.

En second lieu, mon volume sur Crispi nominalement, mais en réalité dévoilant avec preuves le complot contre la Papauté, montrait au public que je suis armée, plus que personne ne te fut jamais, pour combattre et démasquer la Franc-Maçonnerie. Nous vivons dans un siècle sceptique quand on se borne a parler de l’action du démon, il est aisé aux maçons de répondre par un haussement d’épaules ; mais, en dehors des faits surnaturels, toujours discutables tant que l’Église ne s’est pas prononcée, si l’on apporte aux débats un formidable dossier de documents authentiques, — tel, mon volume sur Crispi, — la question change d’aspect, et tes sectaires, écrasés par l’évidence, entrent en fureur, ne pouvant plus nier, n’ayant plus la ressource de sourire avec dédain. Comment donc détruire l’effet de ce réquisitoire, étayé de tant de documents, puisqu’on ne pouvait nier les documents eux-mêmes ?

En troisième lieu, enfin, tes conversions de francs-maçons, se multipliant, constituaient pour la secte un, périt qui ne pouvait que s’accroître ; car chaque conversion amènerait vraisemblablement un témoignage contre l’Ordre, et par leur groupement toutes ces dépositions seraient une terrible cause de ruine, même les dépositions des adeptes non-palladistes. Il fallait donc aviser à frapper d’avance d’une déconsidération complète, absolue, toutes les révélations, tous les témoignages quelconques des maçons convertis, présents et futurs.

On avait reconnu l’impossibilité de m’atteindre ; toutes les recherches n’avaient abouti à rien.

Je profite de ce que je viens d’écrire ces mots, pour répondre à un journal qui a imprimé : « Comment veut-on qu’une personne qui est tous les jours en correspondance avec un éditeur, pour une publication périodique, puisse cacher son domicile à la Franc-Maçonnerie qui voudrait le connaître ? » (Semaine Religieuse de Cambrai)

Peu commode, oui ; impossible, non.