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sance qui fait pitié. Elle n’a plus que des divisions à fomenter, que des haines à voir éclore, que des hostilités à entendre surgir de la première chaine des Alpes au dernier chaînon des Apennins. Nous ne pouvons pas vouloir un pareil état de choses : il importe donc de chercher un remède à cette situation. Le remède est tout trouvé. Le Pape, quel qu’il soit, ne viendra jamais aux sociétés secrètes : c’est aux sociétés secrètes à faire le premier pas vers l’Église, dans le but de les vaincre tous deux.

« Le travail que nous allons entreprendre n’est l’œuvre ni d’un jour, ni d’un mois, ni d’un an ; il peut durer plusieurs années, un siècle peut-être ; mais, dans nos rangs, le soldat meurt, et le combat continue.

« Nous n’entendons pas gagner les Papes à notre cause, en faire des néophytes de nos principes, des propagateurs de nos idées. Ce serait un rêve ridicule, et de quelque manière que tournent les événements, que des cardinaux ou des prélats, par exemple, soient entrés de plein gré ou par surprise dans une partie de nos secrets, ce n’est pas du tout un motif pour désirer leur élévation au siège de Pierre. Cette élévation nous perdrait. L’ambition seule les aurait conduits à l’apostasie, le besoin du pouvoir les forcerait à nous immoler. Ce que nous devons demander, ce que nous devons chercher et attendre, comme les Juifs attendent le Messie, c’est un Pape selon nos besoins. Alexandre VI, avec tous ses crimes privés, ne nous conviendrait pas ; car il n’a jamais erré dans les matières religieuses. Un Clément XIV, au contraire, serait notre fait des pieds à la tête. Borgia était un libertin, un vrai sensualiste du xviiie siècle égaré dans le xve. Il a été anathématisé, malgré ses vices, par tous les vicieux de la philosophie et de l’incrédulité, et il doit cet anathème à la vigueur avec laquelle il défendit l’Église. Ganganelli se livra pieds et poings liés aux ministres des Bourbons qui lui faisaient peur, aux incrédules qui célébraient sa tolérance, et Ganganelli est devenu un très grand Pape. C’est à peu près dans ces conditions qu’il nous en faudrait un, si c’est encore possible. Avec cela, nous marcherons plus sûrement à l’assaut de l’Église, qu’avec les pamphlets de nos Frères de France et l’or même de l’Angleterre. Voulez-vous en savoir la raison ? C’est qu’avec cela, pour briser le rocher sur lequel Dieu a bâti son Église, nous n’avons plus besoin de vinaigre annibalien, plus besoin la poudre à canon, plus besoin même de nos bras. Nous avons, avec cela, le petit doigt du successeur de Pierre engagé dans le complot, et ce petit doigt vaut pour cette croisade tous les Urbain II et tous les saint Bernard de la chrétienté.

« Nous ne doutons pas d’arriver à ce terme suprême de nos efforts ; mais quand ? mais comment ? L’inconnue ne se dégage pas encore. Néanmoins, comme rien ne doit nous écarter du plan tracé, qu’au contraire tout y doit tendre, comme si le succès devait couronner dès demain l’œuvre à peine ébauchée, nous voulons, dans cette instruction qui restera secrète pour les simples initiés, donner aux préposés de la Vente Suprême des conseils qu’ils devront inculquer à l’universalité des Frères, sous forme d’enseignement ou de memorandum. Il importe surtout, et par une discrétion dont les motifs sont transparents, de ne jamais laisser pressentir que ces conseils sont des ordres émanés de la Vente Suprême. Le clergé y est trop directement mis en jeu, pour qu’on puisse, à l’heure qu’il est, se permettre de jouer avec