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pense pas. Il s’occupait plutôt de politique que de religion ; il ne croyait pas en Dieu, je le sais, mais les croyances religieuses des autres ne le gênaient pas… Oui, il est vrai, voilà bien des années que j’ai oublié le chemin de l’église ; je n’ai reçu l’Eucharistie qu’au jour de ma première communion. J’ai toujours conservé avec amour le souvenir de ma mère ; elle n’osa pas contrarier mon père, quand il lui défendit de me laisser aller au catéchisme de persévérance… Pauvre maman ! elle a bien souffert… Et elle priait pour mon père, quand elle lui ferma les yeux sur cette terre d’exil !… Elle est morte, à son tour… Mais je sens qu’elle me voit, de l’autre monde où elle est. J’ai dû l’attrister souvent par ma conduite. Néanmoins, je n’avais jamais soupçonné que vous me demanderiez de me donner au diable. Cela, non !… Vous me faites frémir, maintenant que je sais votre but… Oh ! je ne veux plus être des vôtres… Je n’ai communié qu’une fois dans ma vie ; mais j’étais une bonne petite fille… Tenez, je pleure en y pensant… Je suis une indigne créature, oui, oui, hélas !… À quel point faut-il que je sois indigne, pour que vous m’ayez crue capable de poignarder l’hostie où Jésus-Christ vit caché : car je crois que Dieu est là… Oh ! ma mère, dans l’autre monde, me maudirait, si je commettais un aussi exécrable sacrilège !… Non, non, jamais je ne ferais cela… Je vous garderai le secret que je vous ai promis ; puissiez-vous descendre à votre tour dans vos consciences : mais je ne veux plus être des vôtres, je me retire.

On l’avait laissée parler, sans l’interrompre.

— Tu viens de prononcer toi-même ta condamnation, fit le grand-maître, quand elle eut fini.

— Ma condamnation ?

— Oui. Puisque tu nourris les sentiments que tu viens de nous exposer, il fallait te retirer de la Maçonnerie avant d’être appelée au Palladisme. Quand on a franchi le seuil des Triangles, on ne démissionne plus, sous prétexte qu’on avait mal compris. Il est trop tard pour te retirer. Tu sais quels sont nos derniers mystères, et ils te font frémir, as-tu dit…

— J’en ai horreur, en effet.

— Tu es donc devenue notre ennemie…

— Non. Je suis désolée d’apprendre que vos règlements vous ordonnent de si horribles sacrilèges. Ce sont vos règlements que je rejette. Je maudis ceux qui les ont conçus et qui vous les ont imposés ; mais, vous autres, je vous plains d’être dans un tel égarement. Cette nouvelle initiation que vous vouliez me donner m’a ouvert les yeux.