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du monde, un juif pour lui n’était qu’un juif, indigne d’entrer en ligne dans la société et de jouir de ses faveurs. Il avait fait rayer d’une liste de présentation à l’Académie de Berlin le nom d’un homme que les esprits forts de son entourage portaient aux nues, celui qu’on a surnommé le Platon de l’Allemagne, Mendelssohn, uniquement parce qu’il était juif. Mais en revanche, il encourageait et protégeait volontiers les incrédules et les renégats, les apostats du judaïsme ou du christianisme, comme ce soldat, par exemple, converti du judaïsme au catholicisme, puis du catholicisme au protestantisme, qui lui répondait, lorsqu’il lui demandait pourquoi il avait si souvent changé de religion : « Sire, quand j’étais juif, mon Dieu me voyait continuellement ; mais je ne l’ai jamais vu. Je me fis catholique, ce fut le contraire ; je voyais mon Dieu partout, lui au contraire ne pouvait me voir. Je me suis fait luthérien, je ne le vois pas, il ne me voit pas, cela fait un ménage des mieux assortis. » Cette réponse, pleine d’un sarcasme impie, lui valut le grade de sergent.

Beaucoup de loges étaient infectées d’une espèce de morgue aristocratique qui ne leur permettait pas de frayer avec le juif. Vers la fin de la guerre de Sept ans, appartenir à la franc-maçonnerie était de bon ton ; la secte était en vogue dans le beau monde ; être initié, c’était l’indice d’une noble origine ou d’un mérite exceptionnel ; un juif y eût fait tache. En France, le juif, quelque riche qu’il pût être, ne pouvait sans scandale étaler sa richesse ou jouir publiquement des avantages et des plaisirs qu’elle procure. Ceux qui osaient, à Paris, se distinguer par un train de vie somptueux, des allures aristocratiques, les juifs de Bordeaux, par exemple, qui jouaient au petit-maître, portaient l’épée et couraient le guilledou, s’attiraient sans cesse les censures de la police, et se voyaient enfermer pour récidive à Bicêtre ou au Fort-l’Évêque.

Comment les juifs triomphèrent-ils de ces obstacles, et parvinrent-ils à s’insinuer dans la franc-maçonnerie, si jalouse de sa dignité ? Un juif leur fraya la voie. L’histoire du juif espagnol Martinez Pasqualis se rattache trop étroitement à celle du convent de Wilhelmsbad pour ne pas trouver sa place ici ; il est du reste le canal principal par où les doctrines cabalistiques s’infiltrèrent dans la maçonnerie. Juif cabaliste, maçon avant la lettre, théurge et magicien, fondateur d’une secte qui survécut au dix-huitième siècle, l’Illuminisme, il a tous les titres à une étude particulière dans ces pages.

Né en 1710, en France, à Grenoble, et non pas, comme le disent toutes ses biographies, vers 1715, — d’un père espagnol, et non portugais, comme le veulent les mêmes biographies, — ce n’est qu’à partir de 1754 que l’on peut suivre les traces de ses pérégrinations à travers la France, à Paris, à Lyon, à Bordeaux, et ses relations avec les diverses sociétés maçonniques. Très