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l’existence d’une amitié cupide ou se faisant rétribuer d’une manière quelconque. Mais, dans la bouche du f∴ orateur, cette amitié désintéressée est-elle bien un pléonasme, une redondance de qualificatif inutile ?

Quoi ! d’après cet homme, parlant à ces femmes et les prévenant des obligations qu’elles auront à remplir, en étant tributaires de l’Ordre maçonnique, quoi ! il leur, en coûtera, dit-il, des efforts pour suivre les lois de cette amitié désintéressée ? il a fallu, pour cela, un serment solennel ? cette amitié-là sera un fardeau, que, dès ce jour, elles se sont engagées à porter ?… Mais aussi, comme il s’empresse de les rassurer !… Cessez de vous effrayer, insinue le bon apôtre ; ce fardeau n’est pas au-dessus de vos forces ; grâce à la délicatesse de vos organes, vous irez le chercher de vous-mêmes ; vous l’irez chercher dans le sentier étroit de la vertu, et ce sentier, nous tâcherons toujours de vous le parsemer de fleurs !

Est-ce bien d’une amitié honnête qu’il s’agit, quand le f∴ orateur dit que la première impression de ce sentiment est plus forte que la raison, plus impérieuse que les raisonnements, auxquels elle impose un absolu silence ?… Est-ce bien de l’amitié pure et simple qu’il est question, quand il dit qu’il n’y a, entre elle et un sentiment de nature à jeter un désordre tumultueux dans les sens, qu’une nuance légère, que l’haleine brûlante du désir a bientôt effacée ?… Et condamne-t-il vraiment ce passage d’un sentiment à l’autre, ou, pour mieux dire, cette chute, alors qu’il en montre avec complaisance le tableau, dans un dédale d’enchantements, où la molle volupté, couchée sur un lit de roses, sourit à la beauté qui lui fait des esclaves ? alors qu’il a soin d’ajouter que, si la surveillance, que chaque frère doit exercer sur soi pour ne pas succomber vient à s’oublier quelquefois, la raison, soutenue par les principes maçonniques, viendra à son secours, comme Ariane ?

Ce qu’il faut donc, ce n’est pas s’abstenir des plaisirs (innocents !) que la maçonnerie prépare à ses sectateurs ; ce qu’il faut, c’est avoir assez d’habileté pour ne pas se laisser dévorer par le Minotaure… Et quel est le Minotaure, si ce n’est l’attachement exclusif qu’un homme pourrait éprouver pour une seule femme ?… Car, c’est le f∴ orateur qui l’explique, dans la réunion androgyne, dans la loge d’Adoption, les cœurs susceptibles de sentir la divine influence de l’amitié dont il s’agit, doivent lui fixer des bornes sans lesquelles elle ne serait plus elle-même ; et la vertu consiste à maintenir un juste équilibre, quelles que soient les difficultés à vaincre pour faire prédominer cette loi, ce principe maçonnique… En la suivant, cette loi, nulle pomme de discorde à craindre, point de basses et jalouses rivalités, mais, au contraire, bonheur complet des uns par les autres. Et le f∴ orateur insiste, afin que les sœurs nouvellement initiées sachent bien qu’elles n’auront pas à redouter des préférences pour telles au détriment de telles autres ; elles seront toutes également courtisées, elles n’auront nul motif de jalousie entre