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ratrice de ne rien éventer d’une telle intention. Napoléon ne songeait pas à la Sibylle ; elle ne manqua pas de dévoiler le fait à Joséphine comme une prophétie. Le lendemain, Fouché, qui dirigeait la police, fit venir Mlle Lenormand.

« — Savez-vous, lui dit-il, pourquoi je vous ai demandée ?

« — Pour une consultation, sans doute, répondit-elle. J’ai apporté le grand jeu. »

Fouché et Talleyrand l’appelaient quelquefois ainsi, sous prétexte de son art, mais pour la faire parler d’autre chose que des cartes.

« — Vous n’avez pas regardé dans votre main, ou vos tarots sont embrouillés, reprit Fouché, car vous êtes arrêtée, et de ce pas vous allez en prison. Vous ne l’aviez pas prévu ?

« — Mais pourquoi en prison ? demanda-t-elle.

« — Vous qui savez tant de choses, vous ne savez pas cela ? Cherchez dans vos cartes. »

Au bout de peu de jours, comme on ne voulait donner qu’une leçon, à la sorcière et qu’on avait besoin d’elle, on la remit en liberté. Mais, plus tard, quand vinrent pour Napoléon les jours de revers, la Sibylle, ayant caressé quelques espérances des légitimistes, fut emprisonnée de nouveau, toujours sans l’avoir prévu.

Quelques années plus tard, alors que son étoile était bien en baisse, et que, pour ramener sur elle la curiosité publique, elle allait à Bruxelles, dans l’intention de tirer l’horoscope du prince d’Orange, il lui arriva semblable mésaventure. Comme elle ne se contentait pas d’être sorcière, mais qu’elle se mêlait aussi de contrebande, les douaniers belges, ayant saisi dans ses boîtes à double fond des montres qu’elle passait en fraude, la mirent en prison. Cependant le prince d’Orange, dit-on, ne l’en reçut pas moins, et se fit dire sa bonne aventure. Ne songeant qu’à prédire au prince de glorieuses destinées, elle ne vit pas que sa ligne de fortune était brisée en un certain point ; elle n’avait pas prévu la révolution de 1830.

Une dernière anecdote sur cette femme si célèbre achèvera de faire apprécier la valeur de sa science prophétique.

Un banquier qui doutait de sa lucidité, lui amena un jour son jeune fils déguisé en femme, pour la consulter sur l’avenir de sa prétendue fille. La sibylle s’y laissa prendre, et prédit à la fausse jeune fille tous les bonheurs en amour et un époux.

Enfin, Mlle Lenormand fut arrêtée une dernière fois en Belgique, en 1821 ; elle était accusée d’avoir énoncé quelques maximes mal sonnantes dans un de ses ouvrages : La Sibylle au congrès d’Aix-la-Chapelle, d’avoir des entretiens avec le génie Ariel, de posséder une loupe magique, etc. Traduite pour ces faits devant le tribunal de Louvain, elle y fut condamnée à