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flamme, une fumée si épaisse qu’il faut ouvrir toutes les fenêtres, sous peine d’une prompte et complète asphyxie. Ce succès donne du courage : on reprend les pointes et on enfonce de plus belle… Un gémissement se fait entendre ; on continue, le gémissement redouble : enfin, on distingue positivement le mot pardon… — « Pardon ? disent ces messieurs ; oui, certes, nous te pardonnons, et nous ferons mieux : nous allons passer toute la nuit en prières, pour que Dieu te pardonne à son tour ; mais à une condition, c’est que, qui que tu sois, tu viendras demain, toi-même, en personne, demander pardon à cet enfant. — Nous pardonnes-tu à tous ? — Vous êtes donc plusieurs ? — Nous sommes cinq, y comprit le berger. — Nous pardonnons à tous. » Alors, tout rentre dans l’ordre au presbytère, et cette terrible nuit s’achève dans le calme et la prière.

Le lendemain, dans l’après-midi, un homme se présente à la porte du presbytère, c’est Thorel, l’attitude humble, le langage embarrassé, cherchant à cacher avec son chapeau des écorchures toutes saignantes qui couvrent son visage. L’enfant l’aperçoit et s’écrie : « Voilà l’homme ! voilà l’homme qui me poursuit depuis quinze jours ! » « Que voulez-vous, Thorel ? lui dit M. le curé. — Je viens… je viens de la part de mon maître chercher le petit orgue que vous avez ici. — Non, Thorel, non, on n’a pas pu vous donner cet ordre-là ; encore une fois, ce n’est pas pour cela que vous venez ici. Que voulez-vous ? Mais, auparavant, d’où vous viennent ces blessures ? Qui donc vous les a faites ? — Cela ne vous regarde pas, je ne veux pas le dire. — Dites donc ce que vous voulez faire : soyez franc, dites que vous venez demander pardon à cet enfant ; faites-le donc, et mettez-vous à genoux. — Eh bien ! pardon », dit Thorel en tombant à genoux. Et, tout en demandant pardon, il se traîne et saisit l’enfant par sa blouse.

À partir de ce moment, les souffrances de l’enfant et les bruits mystérieux redoublent au presbytère de Cideville. Le curé engage Thorel à se rendre à la mairie ; et là, devant témoins, sans que personne lui dise de le faire, Thorel tombe à genoux trois fois et demande encore pardon. — « De quoi me demandez-vous pardon ? lui dit le curé, expliquez-vous. » — Et Thorel de continuer ; mais tout en demandant pardon, il se traine sur ses genoux et cherche à toucher l’abbé Tinel, comme il avait fait à l’enfant. — « Ne me touchez pas, s’écrie le curé, ne me touchez pas, au nom du ciel, car je vous frappe ! » Vaine menace ; Thorel avance toujours jusqu’à ce que M. le curé, acculé dans un angle de la pièce, se voie forcé pour sa légitime défense de lui asséner trois coups de canne sur le bras. Ce sont ces trois coups de canne qui vont devenir la base du procès intenté au curé par Thorel.

En attendant, il retourne chez le maire, et le conjure en pleurant d’intercéder pour lui auprès du curé. Puis, il avoue que tout cela remonte à G*** « Il est sorti de prison, lui dit-il, il est venu me voir ; il en veut à M. le curé,