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La cartomancie, telle qu’elle se pratique aujourd’hui en France et surtout à Paris, la ville de la crédulité autant que des lumières, ne remonte qu’au milieu du dix-huitième siècle, à ce fameux perruquier Etteilla (anagramme d’Alliette), auteur de nombreux ouvrages sur la cartomancie, réunis dans une collection fort rare aujourd’hui, intitulée : Collection sur les hautes sciences, ou Traité théorique et pratique de la sage magie des anciens peuples, absolument complet en douze livres ; lesquels contiennent tout ce qu’Etteilla a écrit sur la philosophie hermétique, l’art de tirer les cartes, ses combinaisons sur les 90 numéros de la loterie, et notamment le sublime livre de Thoth. L’auteur s’intitulait professeur d’algèbre, et, comme on peut le voir au titre ronflant de son recueil, s’entendait assez bien en réclames charlatanesques. Du reste, il se vantait de n’être pas un pur théoricien, et d’avoir fait école : « J’ose avouer, dit-il modestement en tête d’un traité spécial sur l’art de tirer les cartes, que depuis seize ans j’ai été le maître de ceux et de celles qui ont fait le plus de bruit en ce genre ; mais plusieurs me reconnaîtront. »

Il est probable qu’Alliette trouva plus de profit à exercer ce métier qu’à professer l’algèbre ou la grammaire ; c’est ce qu’il reconnaît lui même assez naïvement, quand il ajoute :

« Si j’avais découvert que la cartomancie n’était absolument qu’une frivolité, qu’une charlatanerie, et même qu’une souplesse de main, ayant, sans amour-propre et, pour le dire net, autant de petites finesses qu’un autre, je l’aurais délaissée pour jouer du savant ; ainsi, avec quelque leçon du fatigant et froid art grammatical, pillant, volant, relisant les anciens et les modernes, j’aurais, je le crois, promené ma mince existence physique dans les rues et dans les cercles, couvert d’un titre fastidieux, M. l’académicien de Nanterre, de Villeneuve-les-Avignonnais et peut-être des Arcades du Pont-Neuf. »

Il savait aussi fort à propos dans ses ouvrages, même les plus sérieux en apparence, glisser une adroite réclame en faveur de son métier ; ainsi, dans un Fragment sur les hautes sciences (Amsterdam, 1785), il disait :

« L’auteur et restaurateur de la cartomancie française et égyptienne, moyennant trois livres par leçon prise chez lui, met en peu de temps les curieux au fait des principes palpables de cet amusement qui ne le cède pas au jeu d’échecs et de dames, qui nous viennent des mêmes peuples. La cartomancie a de plus que ces jeux d’amuser en occupant solidement un solitaire, et d’insinuer plus sensiblement à tous les hommes le goût des mathématiques, de l’histoire, et, comme l’a dit feu M. Gébelin, d’être le répertoire général de toutes les sciences humaines. »

Si l’on veut maintenant un échantillon de l’enseignement d’Alliette, qui est resté jusqu’à nos jours le type et le guide favori de nos cartomanciens,