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Boullan vint récemment deux fois à Paris ; il cacha son adresse et même son nom, car il voulait dépister les envoûtements dont il était l’objet. Il les sentait rôder autour de lui comme des poignards empoisonnés…


Cette fois, M. de Guaita s’émut. L’acharnement que M. Jules Bois, son adversaire occultiste, mettait à l’accuser d’avoir causé par maléfices la mort de l’apostat Boullan, le contraignit à sortir du silence dans lequel il s’était enfermé ; mais ce ne fut pas pour donner des explications sur ses pratiques personnelles. Il se borna à nier, — très énergiquement, il est vrai, — d’être l’assassin de Boullan.

Voici sa lettre, reproduite du Gil-Blas du 15 janvier :


Paris, ce 13 janvier 1893.
Monsieur le rédacteur du Gil-Blas,

Voilà plusieurs jours que la presse colporte sur mon compte certains ragots, d’un ridicule plus infamant en vérité pour les malveillants ou les naïfs qui ont lancé ce canard, que pour moi-même, aux trousses duquel il s’acharne.

Nul n’ignore plus que je me livre aux pratiques de la plus odieuse sorcellerie ; — que je suis à la tête d’un collège de Rose+Croix fervents du Satanisme, et qui dévouent leurs loisirs à l’évocation du Noir Esprit ; — que ceux qui nous gênent tombent, l’un après l’autre, victimes de nos maléfices ; — que moi, personnellement, j’ai féru à distance nombre de mes ennemis, qui sont morts envoûtés, en me désignant pour leur assassin (or, chacun sait que, depuis les récents travaux des docteurs Luys et Charcot, et particulièrement du savant colonel de Rochas, l’envoûtement à distance n’est plus contesté par la science universitaire ! !)…

Ce n’est pas tout. — Je manipule et dose les plus subtils poisons avec un art infernal, c’est convenu ; je les volatilise avec un bonheur particulier, en sorte d’en faire affluer, à des centaines de lieues d’éloignement, la vapeur toxique, vers les narines de ceux-là dont le visage me déplaît. — Je joue les Gilles de Raiz au seuil du vingtième siècle ; — j’entretiens (comme Pipelet avec Cabrion) des « relations d’amitié et autres » avec le redoutable Docre, le chanoine chéri de M. Huysmans. — Enfin, je tiens prisonnier en un placard un Esprit familier qui en sort visible sur mon ordre !

Est-ce assez ? — Point. Tous ces beaux renseignements ne sont qu’une préface. L’affaire où l’on veut en venir, c’est que l’ex-abbé Boullan, — ce thaumaturge lyonnais dont la mort récente a fait quelque bruit, — n’a succombé qu’à mes infâmes pratiques, à mes efforts combinés avec ceux de mes noirs complices, les Frères de la Rose+Croix.

On va même (cette insinuation naquit sous la plume méridionale de M. Jules Bois), jusqu’à laisser entendre qu’il serait expédient de pratiquer l’autopsie du défroqué, de qui certaines lettres, rendues publiques avec l’assentiment de M. J.-K. Huysmans leur destinataire, me dénoncent positivement comme le magicien provocateur de la crise cardiaque qui a ravi au Carmel son Souverain Pontife, et au monde des démoniaques son « Roi des Exorcistes. »

Car il faut bien dire que M. Boullan, dont j’ai démasqué dans mon dernier livre (avec preuves à l’appui) les œuvres et les doctrines, souffrait dès longtemps d’une double atteinte au cœur et au foie. Cette affection suivait son cours