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(Ce que je vais rapporter, je puis, sur mon honneur, le certifier textuel, et s’il y’avait contestation, je ferais appel aux personnes présentes : M. Misme et madame Thibault).

« — Les occultistes de Paris, Guaita particulièrement, continua Boullan, sont venus ici m’arracher les secrets de la puissance. Guaita même s’agenouilla devant madame Thibault et la conjura de lui donner sa bénédiction : « Je ne « suis qu’un enfant qui apprend », s’écriait-il. Pendant plus de quinze jours nous lui fûmes une famille. À peine était-il parti avec le manuscrit du Sacrifice, le livre magique par excellence, une nuit je me réveillai frappé au cœur. Madame Thibault, chez qui je courus, me dit : « C’est Guaita. » Je m’affaissai en criant : « Je suis mort. » Après quelques secours je pus me redresser et je me fis porter à l’autel… »

Alors Boullan se leva et écarta le rideau de l’alcôve me montrant un petit édifice très simple, en bois, où brûlait une veilleuse…[1]

« — Je me fis porter à cet autel qui est toute ma force ; je dis le sacrifice de gloire qui rompt la complicité des méchants ; je pris les saintes espèces, et, ranimé, je me recouchai et dormis…

« Guaita lui-même, pratiquant la reconnaissance à rebours, me fit savoir qu’il avait voulu exercer contre moi la puissance que je lui avais octroyée,

« Depuis, je sais qu’il s’en est servi pour accomplir tous les maux. Des êtres ont disparu, frappés à mort par ce mage noir. Et sa haine s’accroît d’autant plus contre moi que je suis le seul par mes sacrifices, moi et le directeur de la Tromba Apocalyptica de Rome, à renverser leurs complots. Lorsque M. Huysmans est venu ici, il a assisté à une lutte à distance, dont je sais qu’il a emporté le souvenir le plus tragique. Madame Thibault assistait par la voyance aux coups repoussés de Lyon à Paris (Wird, Guaita, Péladan avaient décidé de me faire mourir). L’hostie à la main, j’invoquais les grands archanges pour qu’ils pulvérisent ces ouvriers d’iniquité… »

Des cris aigus me firent détourner la tête.

« — Ne vous étonnez pas, reprit Boullan, ce sont des oiseaux qui nous portent les messages du ciel. Ils se posent en observation sur le toit voisin, et, par leurs rumeurs, ils nous avertissent des projets de nos ennemis. »

Je visitai la maison ; elle est très simple, un peu encombrée de bondieuseries, mais ne sentant pas le moins du monde le sorcier. Madame Thibault, une paysanne au regard d’aigle, au verbe villageois, ne mange depuis des années que du pain dans du lait, fait à pied les pélerinages les plus lointains, et n’a qu’à soulever les prunelles au-dessus des lunettes pour apercevoir les légions de l’invisible ; quant à M. Misme, c’est un excellent vieillard, préoccupé de retrouver l’élixir de Paracelse. Je quittai la maison, charmé de cette hospitalité franche ; et le bon rire de Boullan tinta dans mes oreilles longtemps.

… Lorsque j’appris aujourd’hui sa mort et les soupçons planant sur les actes des Rose-Croix, je courus chez M. J.-K. Huysmans.

« — Vous tombez bien, me dit-il, et vouz allez avoir les seuls documents authentiques. Boullan est mort le 4. Voici la dépêche de M. Misme, et voici la dernière lettre de Boullan, notez bien ceci, datée du 2, l’avant-veille, et du 3, la veille de sa mort. Elle jette sur cet événement un jour étrange :

  1. Il est à remarquer que M. Jules Bois s’abstient de décrire cet autel.