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se trouve celle-ci : « La face malveillante, le mauvais œil, la bouche malveillante, la langue malveillante, la lèvre malveillante, Esprit des cieux, conjure-les ! Esprit de la Terre, conjure-les ! » Chez les Assyriens, l’œil mauvais était un dieu mauvais, le démon Sed, dont la crainte fait mal. Parmi les inscriptions égyptiennes, se rencontre assez fréquemment le nom de Stou-arban, « femme qui détourne le mauvais œil. » Car si, comme le reconnaissent tous les démonographes, la femme est particulièrement douée du mauvais œil, c’est aussi, selon eux, la femme qui sera le plus capable de conjurer le maléfice. Un hymne de l’Atharva-Véda (livre sacré de l’Inde) invoque Agni et Soma contre le mauvais œil des sorciers : « Arrache au sorcier qui s’est fait connaître l’œil droit et l’œil gauche. » On trouve dans le Rig-Véda cette recommandation à l’épouse : « N’aie pas un regard qui porte malheur, qui tue ton époux. » Dans l’Avesta (livre sacré de la Perse), Zarathustra interroge ainsi Ahura-Mazda : « Quel est celui qui te fait l’offense la plus grave ? » et Ahura-Mazda répond : « C’est le Jahi, démon de l’impureté. Par son regard, il arrête les eaux courantes les plus rapides ; il arrête le développement des brillantes plantes aux fruits dorés. » Dans la théologie persane, le regard est une des armes d’Ahriman, le mauvais esprit, dont l’œil foudroie ou voile la vache nébuleuse ou le soleil.

Depuis ces temps reculés, la croyance aux effets pernicieux et terribles du mauvais œil se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques de leur histoire. Les Romains adoraient le dieu Fascinus, à qui ils attribuaient le pouvoir de garantir les enfants des fascinations et des maléfices. Chez les anciens Scandinaves, la puissance de fascination des magiciens était telle que, lorsqu’on voulait en faire périr un, on lui enfermait la tête dans un sac de cuir, avant de le plonger dans la vase. En Grèce, la crainte du mauvais il règne aujourd’hui avec la même force qu’autrefois. Dans l’île de Tyne, au début d’une maladie, on prononce emathyacti, c’est-à-dire, si le malade est sous l’influence du mauvais œil. Il en est de même chez les Musulmans et presque dans tout l’Orient.

Dans plusieurs provinces de France règne encore aujourd’hui la terreur de ce sortilège. En Auvergne, de nombreux sorciers ont conservé le pouvoir d’épouvanter les montagnards du Puy-de-Dôme et du Cantal ; on connaît en Berry une sorte de jetteux de sorts, dont toute l’influence vient du regard ou du mauvais œil, au dire des bonnes femmes.

Mais il serait oiseux de retenir plus longtemps le lecteur sur cette question où les faits sont d’un contrôle si difficile. On peut admettre, en effet, que le diable se serve de l’œil d’une personne méchante pour faire du mal, sans aller jusqu’à croire que ce mode de maléfice soit en action permanente et comme une seconde nature chez l’instrument des haines sataniques ; des cas de fascination, provenant d’une cause surnaturelle, ne peuvent être et ne sont