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« Maison d’Eubatidas à Corinthe, où Lucien établit un phénomène semblable dans le fond et dans la forme ;

« Maison de Dion, où un spectre féminin et menaçant vint le frapper de terreur, peu de jours avant le suicide de son fils.

« On n’en finirait pas, si l’on voulait dérouler l’interminable chaîne d’apparitions prophétiques et vengeresses qui, dans l’antiquité, décidèrent aussi souvent du sort de tant de personnages illustres que du destin des États.

    gens dans l’intérieur de la maison ; il se met à écrire ; il attache au travail son esprit, ses yeux et sa main, de peur que son imagination oisive ne vienne à lui créer des fantômes et de vaines terreurs. D’abord un profond silence, le silence ordinaire des nuits ; bientôt un froissement de fers, un bruit de chaines. Lui, sans lever les yeux, sans quitter ses tablettes, affermit son me, et s’efforce d’imposer à ses oreilles. Le bruit s’augmente, s’approche ; il se fait entendre près de la porte, et enfin dans le chambre même. Le philosophe se retourne : il voit, il reconnait le spectre tel qu’on l’a décrit. Le fantôme était debout, et semblait l’appeler du doigt : Athénodore lui fait signe d’attendre un instant, et se remet à écrire. Mais le bruit des chaînes retentit de nouveau à ses oreilles ; il tourne encore une fois la tête, et voit que le spectre continue à l’appeler du doigt. Alors, sans tarder davantage, Athénodore se lève, prend la lumière et le suit. Le fantôme marchait d’un pas lent ; il semblait accablé par le poids des chaînes ; arrivé dans la cour de la maison, il s’évanouit tout à coup aux yeux du philosophe. Celui-ci marque le lieu où il a disparu par un amas d’herbes et de feuilles. Le lendemain, il va trouver les magistrats, et leur demande de faire fouiller en cet endroit. Un trouve des ossements encore enlacés dans des chaines ; le corps consumé par le temps et par la terre n’avait laissé aux fers que ces restes nus et dépouillés. On les rassemble, on les ensevelit publiquement, et, après ces derniers devoirs, le mort ne troubla plus le repos de la maison.
    « Cette histoire, je la crois sur la foi d’autrui ; mais voici ce que je peux assurer sur la mienne. J’ai un affranchi, nommé Marcus, qui ne manque pas d’instruction. Il était couché avec son jeune frère ; il lui sembla voir quelqu’un assis sur son lit, qui approchait des oiseaux de sa tête, et qui lui coupait les cheveux au-dessus du front. Quand il fit jour, on aperçut qu’il avait le haut de la tête rasé, et ses cheveux furent trouvés épars autour de lui. Peu de temps après, une nouvelle aventure du même genre vint confirmer la vérité de l’autre. Un de mes jeunes esclaves dormait, avec ses compagnons, dans le lieu qui leur était destiné : deux hommes vêtus de blanc (c’est ainsi qu’il le raconte) vinrent par les fenêtres, lui rasèrent la tête pendant son sommeil, et s’en retournèrent par la même voie. Le lendemain, lorsque le jour parut, on le trouva rasé comme on avait trouvé l’autre, et les cheveux qu’on lui avait coupés étaient épars sur le plancher. Ces aventures n’eurent aucune suite remarquable, si ce n’est que je ne fus point accusé devant Domitien qui régnait alors ; je ne l’eusse pas échappé, s’il eût vécu plus longtemps, car on trouva dans son portefeuille un mémoire contre moi, dont Curus était l’auteur. De là on peut conjecturer que la coutume des accusés étant de négliger et de laisser croitre leurs cheveux, les cheveux coupés de mes esclaves m’annonçaient un péril heureusement écarté… »
    La question des esprits, comme on vient de le voir dans Pline-le-Jeune, préoccupait singulièrement les observateurs réfléchis ; en voici un nouvel exemple tiré d’un dialogue de Lucien sur le même sujet :
    Cléodème, s’entretenant avec un de ses amis, incrédule aux choses de la magie, lui dit :
    « Moi aussi, j’ai été autrefois plus incrédule que vous sur ces sortes de prodiges. Cependant, en voyant voler en l’air un barbare des pays hyperboréens, c’est le nom qu’il se donnait lui- même, j’ai été forcé de me rendre. Que fallait-il faire, quand je le voyais en plein jour soutenir en l’air, marcher sur l’eau, passer à travers le feu ?… Comment vous dire tout ce qu’il nous a fait voir de prodiges, inspirant des amours, évoquant des démons, ressuscitant des morts en putréfaction, faisant venir Hécate elle-même sous une forme visible ?… « Je vais vous raconter ce que j’ai vu faire chez Glaucias, fils d’Alexiclés. Glaucias venait d’hériter de son père, mort depuis peu, lorsqu’il se mit en tête d’épouser Chrysis, fille de Déménète. J’étais alors son maitre de philosophie : à dix-huit ans, il savait déjà user de l’analyse, et avait suivi un cours complet de physique. Ne sachant plus que devenir avec sa passion, il vint me conter sa peine ; je crus devoir mener chez lui notre mage hyperboréen, auquel il donna tout de suite quatre mines, lui en promettant seize autres, s’il le faisait agréer par Chrysis. Le mage attend la pleine lune, époque où ces sortes de charmes ont le plus d’effet, creuse une fosse dans la cour de la maison, et au milieu de la nuit, commence par évoquer, nous présents, Alexiclès, père de Glaucias, mort depuis plus de sept mois. Le vieillard, irrité de la passion de son fils, commence par entrer dans une grande colère ; mais il finit par