Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaintes et les soupirs des animaux et des hommes, comme l’on percevait la vue de leurs ombres, comment et pourquoi ne pas croire à la voix de tant de victimes ?

« Lorsque, dans les heroa, le héros apparaissait en personne pour vous annoncer la guérison réclamée, pourquoi douter ? Valère-Maxime, historien digne de foi, après avoir avancé qu’il y a autant de démons que d’âmes humaines, affirme solennellement qu’il a vu de cette manière lui-même, et bien éveillé, la forme et le visage d’Achille, d’Esculape et d’Hercule.

« La persuasion devenait bien autrement profonde, lorsque sur le lieu de presque tous les assassinats, suicides, sépultures incomplètes ou violées, le spectre était pour ainsi dire attaché à l’endroit. °

« Voyez : palais de Caligula hanté jusqu’à son incendie ;

« Palais de Néron, jusqu’à sa destruction ;

« Tous les lieux visités par Othon, traînant partout avec lui le spectre de Galba, sa victime, avec lequel on l’avait vu lutter et rouler au pied de sa couche, dès la première nuit de son règne ;

« Maison d’Athénodore, où Pline vous affirme que le spectre désigna lui-même l’endroit où restait sa dépouille[1] ;

  1. Pline-le-Jeune à Sura :
    « Je voudrais bien savoir si vous pensez que les fantômes soient quelque chose de réel, s’ils ont une forme qui leur soit propre ; si vous leur attribuez une puissance divine ; ou si ce ne sont que de vaines images qui se tracent dans une imagination troublée par la crainte. »
    Pline se posait la même question que nous et y faisait la même réponse ; certaines visions peuvent être de pures hallucinations naturelles ; mais il y en a d’autres auxquelles il est bien difficile de ne pas accorder croyance en leur réalité.
    « Ce qui me porterait à croire qu’il existe réellement des spectres, c’est l’aventure arrivée à Curtius Rufus. Encore sans fortune et sans nom, il avait suivi en Afrique le magistrat à qui le gouvernement de cette province était échu. Sur le déclin du jour, il se promenait sous un portique, lorsqu’une femme, d’une taille et d’une beauté plus qu’humaine, se présente à lui. La peur le saisit : « Je suis l’Afrique, lui dit-elle ; je viens te prédire ce qui doit t’arriver. Tu iras à Rome, tu rempliras les plus grandes charges : tu reviendras ensuite gouverner cette province, et tu y mourras. » Tout arriva comme elle l’avait prédit ; on raconte même qu’arrivant à Carthage et sortant de son vaisseau, la même figure se présenta devant lui et vint à sa rencontre sur le rivage. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il tomba malade et que, jugeant de l’avenir par le passé, il désespéra de sa guérison, malgré que tous les siens en conservaient l’espoir.
    « Mais voici une autre histoire qui ne vous paraîtra pas moins surprenante, et qui est bien plus terrible ; je vous la donnerai telle que je l’ai reçue. Il y avait à Athènes une maison vaste et spacieuse, mais mal famée et funeste. Dans le silence de la nuit, on entendait un froissement de fers, et, en écoutant avec attention, le retentissement de chaînes agitées. Le bruit semblait d’abord venir de loin, et ensuite s’approcher. Bientôt apparaissait le spectre : c’était un vieillard maigre et hideux, à la barbe longue, aux cheveux hérissés ; ses pieds et ses mains étaient chargés de fers qu’il secouait. De là, des nuits affreuses et sans sommeil pour ceux qui habitaient cette maison : l’insomnie amenait la maladie, et, l’effroi s’augmentant sans cesse, la maladie était suivie de la mort ; car, si le jour n’était pas troublé par cette funeste image, le souvenir la rappelait aux yeux, et la terreur survivait à la cause qui l’avait produite. Aussi la maison fut-elle bientôt déserte et livrée tout entière à son hôte mystérieux. On plan cependant un écriteau, dans l’espérance qu’ignorant cette effrayante histoire quelqu’un pourrait peut-être l’acheter ou la louer.
    « Le philosophe Athénodore (il avait été précepteur d’Auguste) vient à Athènes, lit l’écriteau, demande le prix, dont la modicité lui inspire des soupçons ; il s’informe, on l’instruit de tout. Loin de s’effrayer, il s’empresse d’autant plus de louer la maison. Vers le soir, il se fait placer un lit dans la salle d’entrée, demande ses tablettes, son poinçon, de la lumière ; il renvoie ses