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Sénèque. Celui-ci, dans son Œdipe, nous fait entendre les termes mêmes de la formule magique de l’évocation, telle qu’elle se pratiquait à l’époque héroïque de la Grèce :

Laïus, muni de soufre, pénètre dans la forêt chère aux spectres et à Hécate. Trois fois le vieux Tirésias invoque cette déesse, ainsi que l’Achéron, les mânes et celui qui régit les mânes ; trois fois il entonne ce chant magique, qui tour à tour apaise et force les âmes ; le sang des troupeaux a coulé, le lait lui succède ; après quoi, les yeux fixés sur la terre, il chante encore et appelle les ombres d’une voix plus grave et plus émue :

« Pluton, Proserpine et Tisiphone, je vous adjure, laissez venir à moi les mânes de la race de Cadmus, et retenez tous les autres. Entendez ma voix, ô séjour de la mort et des supplices, desservi par les-mânes ; laissez franchir vos portes à l’ombre qui les pousse, et que le Styx nous rende pour un moment sa proie ! que Tisiphone, après avoir secoué trois fois ses serpents, la ramène elle-même à la lumière oubliée, et que Cerbère ne s’avise pas de lui présenter ses trois têtes pour la faire reculer !… Mais quoi ! mes yeux ne voient rien paraitre ! Rien ne répond à ma voix !… Allons, plus de retard ; j’en atteste les dieux ; si mon attente se prolonge, je vais ébranler le Tartare. Je ne craindrai même pas de troubler Hécate et de révéler les secrets des trois mondes. »

Et sur cette impérieuse sommation, l’ombre apparaissait.

Apparitions sollicitées, ou apparitions spontanées, divination par le cadavre, ou par l’âme rendue visible, ou par de simples phénomènes nécessitant sa présence malgré son invisibilité, toutes ces formes de nécromancie abondent dans l’histoire grecque ou romaine ; et, triomphe de l’éternel imposteur, Satan, il est arrivé à des catholiques de perdre de vue que, dans ces apparitions, c’est le diable qui se montre ; oui, un chrétien fidèle, un auteur catholique, comme M. de Mirville, a cru que vraiment ce sont les trépassés eux-mêmes qui apparaissent. Il a, en effet, écrit des lignes telles que celles-ci :

« Lorsque, comme Cimon, on avait fait tout exprès le voyage d’Héraclée pour y voir l’ombre d’une mère bien-aimée, et que celle-ci, par suite de cette évocation, avait révélé à son meurtrier le sort qui l’attendait, comment douter de sa présence ?

« Lorsqu’à Marathon, deux ombres, dont l’une offrait la parfaite image de Thésée, et l’autre celle du laboureur Érechtée, eurent décidé du gain de la bataille, le premier en marchant à la tête de l’armée, le second en enfonçant les rangs ennemis à coups de socle de charrue, comment douter que derrière ces ombres ne s’abritassent leurs personnes elles-mêmes ?

« Lorsque, sur ce même champ de bataille, comme aux bords du lac de Trasimène, quatre cents ans plus tard, dit Pausanias, on entendait encore les