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D’autres fois, le dieu lare se transformait en larve ; ces larves, toujours représentées par des squelettes, étaient le plus souvent des âmes d’assassinés, de grands criminels ou de morts non ensevelis.

L’un des principaux rites qui servaient à apaiser la cruauté des mânes (diri manes) était les repas funèbres qu’on offrait aux morts, « charisties » lugubres, si souvent anathématisées par les prophètes et les apôtres. Dans ces cérémonies, on appelait trois fois les âmes de ceux qui étaient morts sur la terre étrangère ; selon saint Épiphane, la formule d’évocation était celle-ci : « Réveille-toi, mange et bois. » Après la vérification ou l’appel nominal du mort, on l’interrogeait sur la cause de sa mort, le lieu où il était ; puis venaient le sacrifice et le festin, toujours accomplis dans le plus profond silence, pendant que les ombres soupaient, elles aussi en silence, du plat et de la coupe ; la coupe s’appelait obba, en raison des ob et obboth, mots qui désignaient les « revenants ».

Si l’appétit des mânes ne suffisait pas à consommer les victuailles qui leur étaient offertes, on brûlait ce qui restait du festin. Pausanias, au rapport des prêtres de Delphes, parle d’un certain démon Eurinomus qui ne laissait jamais que les os. Il y avait donc des esprits sobres et des esprits voraces.

Cette distinction s’est conservée chez les Chinois, dans les festins offerts aux ombres des trépassés : « Les vivres apportés et le vin versé, rapporte Mgr Maigrot, pour laisser plus de liberté à l’esprit, tout le monde sort, frappé d’une crainte respectueuse, croyant voir et entendre leurs voix et leurs soupirs. Le médium seul est resté, et l’un des trois rapports qu’il doit faire sur ce qui s’est passé dans cet imposant tête-à-tête roule sur la manière dont ce repas a été consommé ; il doit dire si l’esprit a bien mangé et bien bu ; et sa tristesse est grande lorsque les mets sont intacts, car c’est une preuve que le sacrifice est refusé. Tout le monde alors se retire en silence et dans la consternation, tandis que, dans le cas contraire, on reconduit l’esprit et on lui dit adieu. »

Rien n’empêche de croire à cette apparence de consommation matérielle du manger et du boire par les démons ; il peut en être de ces esprits comme des anges, et en particulier de l’ange Raphaël qui, en quittant la famille de Tobie, lui dit : « Lorsque j’étais avec vous, je paraissais manger et boire ; mais je me nourris d’un pain que vous ne pouvez pas manger et d’un breuvage que vous ne pouvez pas boire. »

Le caractère de cruauté signalé chez les diri manes devait se communiquer aux solennités célébrées en leur honneur : « Ces sacrifices, nous dit Athénée, dans le commencement si touchants et si pieux, avaient fini par les orgies les plus ignobles, orgies pendant lesquelles ils en venaient à dévouer à ces dieux infernaux leurs femmes et leurs enfants, à les écraser sous le poids de leurs malédictions, à briser de coups leurs domestiques et leurs esclaves, et à réaliser toutes les menaces qu’ils avaient proférées. »