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le dortoir du cloître, il le vexait et le tentait. Il avait un ou deux diables qui l’épiaient, et s’ils ne pouvaient parvenir au cœur, ils saisissaient la tête et la tourmentaient… Cela m’est arrivé souvent. Quand je tenais un couteau dans les mains, il me venait de mauvaises pensées ; souvent je ne pouvais prier, et le diable me chassait de la chambre. Car, nous autres, nous avons affaire aux grands diables, qui sont docteurs en théologie. Les Turcs et les papistes ont de petits diablotins, qui ne sont point théologiens, mais seulement juristes.

« Je sais, grâce à Dieu, que ma cause est bonne et divine : si Christ n’est point dans le ciel et Seigneur du monde, alors mon affaire est mauvaise. Cependant le diable me serre souvent de si près dans la dispute, qu’il m’en vient la sueur. Il est éternellement irrité, je le sens bien, je le comprends. Il est auprès de moi, plus près que ma Catherine. Il me donne plus de trouble qu’elle de joie… Il me pousse quelquefois : « La Loi, dit-il, est aussi la parole de Dieu : pourquoi l’opposer toujours à l’Évangile ? — Oui, dis-je à mon tour ; mais elle est aussi loin de l’Évangile que le ciel l’est de la terre. »

« Le diable n’est pas, à la vérité, un docteur qui a pris ses grades ; mais du reste il est bien savant, bien expérimenté. Il n’a pourtant fait son métier que depuis six mille ans. Si le diable est sorti quelquefois des possédés, lorsqu’il était conjuré par les moines et les prêtres papistes, en laissant après lui quelque signe, un carreau cassé, une fenêtre brisée, un pan de mur ouvert, c’était pour faire croire aux gens qu’il avait quitté le corps, mais en effet pour posséder l’esprit, pour les confirmer dans leurs superstitions. »

Cet aveu de Luther sur les effets réels opérés par les exorcistes est bon à recueillir en passant ; la force seule de la vérité pouvait le lui arracher.

La plus célèbre des conférences que Luther eut avec le diable devenu théologien, est celle de 1521, où, poussé par lui dans ses derniers retranchements, Luther lui abandonna le saint sacrifice de la Messe. Je ne puis citer ici le récit fait par Luther lui-même de cette longue discussion dans son traité De Missâ privatâ. Qu’il me suffise de dire que le démon y a la belle part, et que les arguments employés depuis par les protestants pour conclure à l’absurdité de la Messe sont empruntés au démon et reposent sur l’autorité de Satan.

Pour juger sainement de cette discussion et, en général, des relations de Luther avec le diable, nous n’avons qu’à écouter ce qu’en dit le grand Bossuet dans son Histoire des Variations :

« En ce temps, Luther publia ce livre contre la Messe privée, où se trouve le fameux entretien qu’il avait eu autrefois avec l’ange des ténèbres, et où forcé par ses raisons, il abolit, comme impie, la Messe qu’il avait dite pendant tant d’années avec tant de dévotion, s’il l’en faut croire. C’est une chose merveilleuse de voir combien sérieusement et vivement il décrit son réveil, comme en sursaut, au milieu de la nuit ; l’apparition manifeste