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selon moi, que c’est le diable qui fascine les hommes et leur fait croire qu’ils font toute autre chose, par exemple une prière ; et cependant le diable les tue. Néanmoins, le magistrat fait bien de punir avec la même sévérité, de peur due Satan ne prenne courage pour s’introduire. Le monde mérite bien de tels avertissements, puisqu’il épicurise et pense que le démon n’est rien. »

Il n’hésitait pas à accepter, comme véritable le pouvoir attribué aux démons incubes et succubes : « Le diable, disait-il, peut se changer en homme ou en femme pour tromper, de telle manière qu’on croit être auprès d’une femme en chair et en os, et qu’il n’en est rien. Comme il en résulte souvent des enfants ou des diables, ces exemples sont effrayants et horribles. C’est ainsi que le démon qu’on appelle nix, attire dans l’eau les vierges ou les femmes pour créer des diablotins. Quelquefois il enlève à leurs mères des enfants nouveau-nés pour leur en substituer d’autres, nommés supposititii, et par les Saxons, kilkropff. Il y a huit ans, j’ai vu et touché moi-même à Dessau un enfant qui n’avait pas de parents et qui venait du diable… » Luther pensait que les enfants de cette espèce ne sont qu’une masse de chair, sans âme.

Dans la haute opinion qu’il avait de la puissance du diable, il reprochait à Origène de ne pas l’avoir comprise : « Autrement, disait-il, il n’aurait point pensé que le diable pourra obtenir grâce au jugement dernier. »

On comprendrait peu qu’avec une telle opinion sur la puissance du diable, Luther ait manifesté à son égard, dans ses relations avec lui, tant de dédain et de mépris, si on ne découvrait bientôt que ce dédain et ce mépris avaient leur source dans un orgueil vraiment infernal, qui lui faisait croire qu’il dominait et maîtrisait le démon, quand celui-ci, beaucoup moins chatouilleux qu’il ne le pensait en fait de grossières et ordurières rebuffades, le menait au contraire parle bout du nez et en arrivait toujours avec lui à ses propres fins.

Satis se laisser déconcerter pas les procédés cavaliers dont Luther usait avec lui[1], comme un ami en use avec un ami dans l’intimité, Satan continuait de le harceler pour lui arracher de nouvelles concessions qu’il était toujours sûr d’obtenir. Souvent même, il se métamorphosait en adversaire pour exalter son orgueil, et lui donner l’occasion de dire aux autres hérétiques qui avaient le malheur de n’être pas de son avis (Zwingle, Bucer, Acolampade) : « S’ils n’ont jamais eu l’intelligence des divines Écritures, c’est qu’ils n’ont jamais eu pour adversaire le démon ; car, quand nous n’avons pas le diable attaché au cou, nous ne sommes que de tristes théologiens. »

Écoutons-le racontant quelques-unes de ses escarmouches avec le diable.

« Le diable, comme il le reconnaît lui-même, allait se promener avec lui dans

  1. Il lui jetait son encrier à la figure, ou lui montrait son derrière.