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fit peur : « Vite, François, ma douche tout de suite ! » Je l’aidai à retirer son maillot et sa culotte ; son corps était tout violacé. Malgré tout, il prit sa douche, puis, aussitôt après, lui et moi, nous nous sommes mis à pratiquer des frictions au gant de crin avec addition d’eau de Cologne. Au bout d’un moment, il me demanda si mon dîner ne brûlait pas ; mais j’étais tellement contrarié de le voir dans un pareil état que je ne pus m’empêcher de lui dire : « Tant pis si, pour une fois, le dîner est brûlé ! » Il continua encore longtemps à se frictionner. Malgré cela, il n’obtint pas la réaction habituelle. Il voulut alors me raconter la partie qu’il avait faite, mais la voix lui manqua ; il hachait les mots sans pouvoir les prononcer.

Le dîner, sans être froid, ne fut cependant pas franchement gai ; Monsieur se sentait mal à l’aise et les jours suivants il fut maussade. Il me conta pourtant cette sortie en bateau : « Mes invités, me dit-il, m’ont laissé la plus grosse charge, mais je leur ai fait voir ce qu’un homme entraîné peut fournir dans ce genre de sport. Pour finir, nous sommes revenus de Marly, M. X… dans sa yole avec une dame et M. M… dans le petit canot avec deux dames ; ils ont pris le bras mort du fleuve ; moi j’ai remonté le bras vif avec le Bon-Cosaque et trois dames, et je suis encore arrivé avant eux ! Voyez-vous, tous ces gros gaillards-là me font songer aux gardiens de harem du Grand Turc. »

Pendant plusieurs jours, à la suite de cette équipée, mon maître resta morose ; il passait des heures sur son divan, caressant ses deux chattes et ne se dérangeant que pour venir à la cuisine leur faire boire du lait.

À une de ses visites il me dit : « Moi aussi, j’essaierai d’un peu de lait demain, je ne me sens pas bien ; j’ai