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M. Alphonse Karr. Il nous prévient que nous partirons pour Nice au premier jour de bon vent.


22 août, Nice. — On ne respire pas dans le port de Nice comme dans celui de Saint-Raphaël. M. de Maupassant marche sur le pont de son bateau ; il fait le quart, comme disent les matelots, et ne semble pas satisfait. Il regarde la montagne, « pour ne pas, dit-il, voir ce qui se passe plus près de lui », et il ajoute : « Si mes yeux peuvent aller au loin chercher quelque chose qui me fait plaisir, il n’en est pas de même de mon odorat. Décidément ce port sent trop le commerce pour mon tempérament. »

Il déjeune chez Mme de Maupassant, villa des Ravenelles, et reprend sa bonne humeur habituelle quand il entend sa mère lui dire qu’elle se trouve si bien dans ce jardin, que sa santé s’est beaucoup améliorée, au point de pouvoir dormir sans chloral, et de voir maintenant suffisamment pour lire.

Dans l’après-midi, il s’arrête dans le chemin, en face de la cuisine. Depuis un moment déjà, il est près d’un vieux tronc d’arbre où il y a une grande fourmilière, et soudain il m’appelle ; armé de son lorgnon et de sa loupe, il regarde travailler ces petites bêtes, il admire leur manière de vivre. « Vous savez, me dit-il, chez elles, il n’y a pas de souverains, la besogne est distribuée, et chacune en fait sa part avec le plus grand amour-propre. Jamais le moindre désordre ne se produit, les tâches sont réparties ; celles qu’on nomme les ouvrières construisent les galeries, et ont aussi la charge de nourrir les femelles qui sont occupées à pondre, et auxquelles elles ont préalablement arraché les ailes à leur retour de l’entrevue qu’elles ont eue avec les mâles. Mais ce n’est