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droite son ombrelle blanche et, de temps en temps, faisant une petite pause, il retirait son lorgnon bleu, puis repartait en silence. Il semblait ne plus s’apercevoir de ma présence.

Je marchais tantôt à ses côtés, tantôt derrière lui, ayant grand soin de ne pas parler, de ne pas le troubler dans ses moments d’inspiration, que je connaissais depuis longtemps, où je savais que sa pensée était en plein travail. Il emmagasinait des impressions et fixait dans sa mémoire magique tout ce qu’il voyait ; les moindres détails n’étaient pas oubliés ; rien n’échappait à son œil scrutateur. Je me disais : « Dans un an, même plus tard, il saura, en quelques pages sublimes, exprimer toute la poésie de ces lieux, dont la vue cause en ce moment une impression si intense à ses sens délicats d’artiste et de poète, et, par ces quelques pages d’une réalité si bien sentie, il réussira à faire tressaillir les nerfs et le cœur des gens qui aiment le Beau, le Vrai… »

En remontant en voiture, il demanda au cocher de ne pas marcher vite. Nous arrivions sur le plateau de la partie élevée, qui sépare la vallée de Pampelone du golfe de Saint-Tropez. Mon maître se mit debout dans la voiture, jeta un long coup d’œil sur l’ensemble de ce pays que nous venions de parcourir, se rassit, et me dit : « Que cette vallée ferait un endroit de séjour délicieux ! » Il me fit alors l’historique de la découverte d’Étretat par Alphonse Karr, l’auteur de la Pénélope normande, et par Offenbach, créateur de l’opérette et auteur d’Orphée aux enfers, qui, l’un des premiers, fit construire une villa à mi-côte sur la route de Fécamp.

Nous arrivions sur le versant Nord ; nous avions devant nous le golfe de Saint-Tropez dans toute son étendue, dans toute sa beauté, sous un soleil rosé qui le poudrait