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Un jour, il me donna rendez-vous pour le soir « à sa pépinière de fleurs humaines », comme il disait, et il me montra la dame en question… Après avoir perdu deux louis aux petits chevaux, je me retirai et j’allai jusqu’au bord du lac qui répétait à l’infini l’image de la lune à sa surface.

Je suivis longtemps le serpentin de gazon qui court selon le dessin capricieux du bord du lac ; j’entendais, dans le calme profond de la nuit, couler l’eau des sources qui descendait en murmurant. Quel joli souvenir j’ai gardé de cette soirée ! Cette belle clarté, ce grand calme, ce léger bruit d’eau, cette douce tiédeur et ce bon parfum d’herbe que le soleil a chauffée toute la journée ! J’aurais volontiers couché à la belle étoile, surtout si j’avais eu à ma disposition un bateau où je me serais laissé bercer sur cette eau si claire et si limpide. Mais ce n’est pas tout que de rêver, mon maître devait être rentré : je me hâtai de réintégrer notre pavillon.

Le lendemain, au déjeuner des courriers, grâce à quelques mots de russe, je liai connaissance avec le valet de chambre de la princesse. La veille, nous avions fait rouler les billes sur le tapis vert du café, et, le jour suivant, à 4 heures de l’après-midi, je prenais un exquis thé russe à la crème, dans le salon de la dame de compagnie de Son Altesse. Deux jours plus tard, nous allions ensemble au théâtre du Cercle.

Dès ce moment, je puis livrer à mon maître les renseignements qu’il désirait ardemment sur cette personnalité exotique et il sut en tirer un merveilleux parti.

Notre princesse avait sa place marquée au bon endroit dans l’Âme étrangère[1]. Je n’ai jamais compris au juste

  1. Voir page 24 de l’Âme étrangère